Cinéma

Lumière MIFC 2022 - Juliette Rajon et Gérald Duchaussoy : "Un esprit d’ouverture constant"

Date de publication : 18/10/2022 - 08:15

Juliette Rajon, directrice du Marché international du Film Classique et Gérald Duchaussoy, chargé de mission, coordination et programmation du MIFC, évoquent les enjeux de cette 10e édition et les spécificités d’un marché dédié au cinéma de patrimoine.

Comment se présente cette édition par rapport à 2021 en termes d’accréditations ?
Juliette Rajon : A ce stade (entretien réalisé le 30 septembre ndlr) nous sommes en avance sur le nombre d’accrédités, par rapport aux périodes similaires antérieures. Cela peut vouloir dire que les professionnels s’y prennent plus tôt que les autres années et qu’en fin de compte nous serons plus proche du nombre d’accrédités de 2021 ou alors que nous aurons, au contraire, un dépassement. Sachant que lors de la dernière édition, en dépit d’un contexte sanitaire tendu, nous avions eu 450 accrédités comme en 2019.

Les étrangers seront-ils très présents ?
Gérald Duchaussoy : Ce qui se dessine actuellement, c’est une participation internationale accrue. Nous en sommes à 32 pays représenté, contre 22 l’année dernière.

Notez-vous la présence de nouveaux entrants ?
JR : Oui nous constatons un renouvellement au niveau des sociétés. Il y a toujours un socle de fidèles qui représente les 2/3 des présents, mais environs 1/3 est composé de nouvelles structures qui ne s’étaient encore jamais accréditées. Aux côtés de grandes maisons généralistes comme Gaumont, Pathé ou Studiocanal on retrouve par exemple des éditeurs vidéo très spécialisés. Cela prouve que le marché est vivant. Il est identifié et provoque de la curiosité. On sent que la profession a envie de s’en saisir.
GD : Comme tous les ans nous avons contacté bon nombre d’acheteurs. Or cette année, nous avons un bon taux de réponse. Et nous en sommes agréablement surpris, car il y a encore cinq ans, c’est une population qui nous répondait assez peu. Évidemment tous ne vont pas venir à Lyon, mais nous constatons une accroche de plus en plus forte, notamment à l’international.

C’est une édition anniversaire, celle du 10e MIFC. Identifiez-vous quelques grandes étapes ?
JR : Nous sommes passés de 100 accrédités en 2013 à 450 à présent. La profession s’est emparée du marché. Nous avons fortement augmenté notre offre de tables rondes et de conférences puisque nous en sommes à présent à une vingtaine de propositions de contenus éditoriaux. Et les professionnels nous contactent à présent en amont du marché pour y organiser des prises de parole. Nous devenons ainsi une sorte de caisse de résonance des grands enjeux du moment pour la filière du patrimoine. Ce qui a changé aussi c’est notre ancrage européen. Nous sommes soutenus par le programme Media car nous avons prouvé que nous avions une utilité et une résonance au niveau européen. Et cette année, le relais culture Europe nous a demandé un créneau pour venir présenter un nouvel appel à projets européen : «Audience development and Film Education». Le CNC et la CST vont venir dévoiler à Lyon une nouvelle norme de conservation européenne. Et la CICAE sera pour la première fois présente, puisqu’elle vient de décider de monter un groupe de travail sur le patrimoine
GD : Toujours dans cet esprit européen, l’Association des Cinémathèques Européennes, l’ACE nous a proposé d’organiser une table ronde avec ArteKino Classics pour mettre en valeur la promotion du cinéma de patrimoine. Nous l’avons croisée avec la plateforme de l’Institut Français, European Film Factory qui mène un travail similaire. Par rapport aux grandes étapes, la mise en place du Village Marché a permis la création d’un véritable lieu d’échange. Et les stands sont devenus plus conviviaux. Notre marché est à présent un endroit où les professionnels se donnent rendez-vous dans un cadre agréable et même festif pour y faire du networking. Nous avons d’ailleurs reçu beaucoup de sollicitations pour organiser des cocktails et des soirées du début jusque la fin. Cela reflète la dynamique du cinéma de patrimoine, qui se caractérise par beaucoup de restaurations et de nouvelles sorties.

Hormis bien sûr le patrimoine qu’est ce qui pourrait caractériser le MIFC par rapport à d’autres marchés ?
JR : Nous sommes un marché très éditorialisé, car c’est intrinsèque à la nature du cinéma sur lequel nous travaillons. Le circuit économique du film de patrimoine est bouclé. Il n’y a plus à faire de recherches de financement ni à trouver des partenaires de coproduction. Les stands sont donc surtout pris par des institutionnels. Il y en aura une douzaine en tout cette année, représentant 17 structures, mais ce n’est pas le nerf de la guerre. Les professionnels viennent chez nous pour débattre dans les tables rondes et les présentations et prendre la parole. C’est donc un marché à fort contenu en termes de débat et de réflexion. Mais la dimension busines devient de plus en plus importante. Et nous sommes proactifs en la matière, puisque cette année nous avons lancé, sur invitation, un petit déjeuner entre vendeurs et acheteurs. Nous voulons renforcer cette dynamique.
GD : Créer un espace toujours plus convivial va dans ce sens.  Cela permet aux accrédités d’agrandir leur réseau, lors de ces rendez-vous informels qui constituent un élément indispensable pour échanger des idées et construire l’avenir du secteur.

Des temps forts particuliers à mettre en avant cette année ?
JR : Il y aura notamment cette table ronde sur la restitution de nos 10 éditions. Ce sera l’occasion de faire le point sur les grandes thématiques qui ont irrigué le marché. Nous allons donner la parole à chaque fois à un invité, dont plusieurs grands témoins, qui abordera ces thèmes. Je peux citer par exemple la question du jeune public, la formation des spectateurs de demain, la multiplication des canaux de diffusion, celle de la réglementation qui s’intensifie en créant à la fois des contraintes, mais aussi des opportunités. Et dans les thèmes qui vont devenir incontournables, il y bien sûr celui de l’éco-responsabilité. Cette année nous proposons un atelier collaboratif et interactif, imaginé sur le principe de la fresque du climat. Le but est de sensibiliser l’ensemble des professionnels afin qu’ils puissent mettre en place des actions concrètes dans leur métier. Cela concerne l’ensemble de la filière et l’experte qui l’anime l’a spécialement adapté aux spécificités du secteur du patrimoine. Par ailleurs dans le cadre du parcours exploitant, nous avons organisé une table ronde autour de la renaissance d’un certain esprit ciné-club. On constate depuis longtemps que programmer un film de patrimoine, sans faire une animation autour, ne permet notamment pas d’aller chercher un nouveau public. Nous allons donc écouter différents opérateurs menant de telles actions de type ciné-club car cela semble fonctionner et pourrait s’étendre au cinéma classique.

La 4e édition du salon du DVD prouve que le support physique fait toujours de la résistance dans la patrimoine ?
JR : Les éditeurs vidéo sont fidèles au marché et ce avant même l’existence de cet évènement. Ils ont évidemment été très heureux lorsque nous avons décidé de monter à nouveau ce salon. Et ils viennent de plus en plus nombreux puisqu’ils vont être 17. Car si l’édition physique du film frais a tendance à s’écrouler, celle du patrimoine résiste. On touche un public de collectionneurs et d’acheteurs et la profession fait beaucoup d’efforts, en sortant de très beaux coffrets éditorialisés et d’une grande qualité technique qui trouvent preneur. Cette année nous allons d’ailleurs mettre en avant les éditions collector. A l’Institut, avec Thierry Frémaux, nous nous battons pour mettre en lumière cette édition physique à laquelle nous croyons. La moitié des références de la librairie est constituée de DVD et nous avons des acheteurs toute l’année. Nous avons envie d’être très accompagnants, d’autant que le salon permet aux éditeurs de rencontrer physiquement leurs clients, d’enrichir leurs fichiers.

Qu’est ce qui a présidé au choix de mettre l’Espagne à l’honneur ?
GD : On sent une envie autour du cinéma espagnol. Cela fait partie des grandes cinématographies auxquelles on a en fin de compte peu accès, hormis quelques grands noms. Mais c’est en train de changer car de plus en plus de titres commencent à être disponibles sur le marché. Il existe également dans le pays tout un vivier de cinémathèques et de salles. Et cette vivacité va de pair avec une envie d’exportation. D’ailleurs deux films espagnols ont été sélectionnés cette année par le festival. Or les choix des programmateurs sont indépendants de ceux du marché. C’est la preuve d’une vraie dynamique autour de ce cinéma. Et on sent chez les espagnols beaucoup d’idées pour le mettre en valeur toujours plus.

Comment vous projetez vous dans l’avenir ? Des idées déjà en vue pour les éditions prochaines ?
JR : Il y a beaucoup de pays que nous voudrions mettre en valeur, en termes de pratiques, de marchés, de spécificités. Nous avons une structure de base mais rien n’est jamais figé afin que nous puissions garder notre capacité à être réactifs en fonction des sujets d’actualité, de l’état de la filière. Un phénomène extérieur comme le Covid peut influer sur certaines données du milieu. Nous sommes toujours en veille afin de ne surtout pas tomber dans une routine quelconque.
GD : Les fondations sont fortes, mais nous aimons faire bouger les murs. Nous avons par exemple envie de travailler avec la CICAE pour favoriser le développement du patrimoine dans les salles à travers l’Europe. Et nous souhaitons aller vers l’international. L’idée c’est de faire en sorte qu’institutions et professionnels puissent s’emparer d’innovations mises en place dans d’autres pays.
JR : Nous allons notamment faire cette année un partage d’expérience sur l’état de la filière du cinéma de patrimoine dans les pays à faible capacité de production. Nous sommes dans un esprit d’ouverture constant. Tout le monde est bienvenu à Lyon, même des acteurs en provenance de pays ou la filière du patrimoine est quasi inexistante. Nous accueillons aussi bien Gaumont que le Centre arménien du cinéma. Le MIFC est pensé et conçu comme un lieu de brassage utile à toutes et tous. Tout le monde y a sa place.

Propos recueillis par Patrice Carré
© crédit photo : DR


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