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Cinéma

Cannes 2025 - Alexe Poukine réalisatrice de "Kika" : "C’est un personnage qui affronte la vie un peu de biais"

Date de publication : 16/05/2025 - 15:23

Son moyen métrage Palma, dans lequel elle joue le personnage principal a notamment remporté le Grand Prix du festival de Brive et le prix du jury au festival de Clermont-Ferrand. Kika, qui est son premier long métrage de fiction est présenté en compétition à la Semaine de la Critique.

Comment décririez-vous Kika en quelques mots ?
Je dirais qu'il s'agit d'un drame comique. L'histoire d'une femme qui se retrouve dans une situation précaire et qui trouve des moyens peu orthodoxes d'en sortir.

Lors d’une interview vous avez déclaré que chacun de vos nouveaux films prennent naissance lors de l’accompagnement du film précédent... est-ce le cas aussi pour Kika ou seulement pour vos documentaires ?
Pour moi, Kika est un peu la suite de Palma, où je rejouais un épisode vécu avec ma fille. Le personnage de Kika est un mélange entre moi et une personne – qui est maintenant un ami – que j'ai rencontrée pour l'un de mes documentaires. Il est à la fois assistant social et dominateur, a fait plusieurs burn out en tant qu'assistant social puis en tant que dominateur. Je trouvais ça intéressant tous ces gens qui cherchent de l'aide, de façon différente et le désespoir que ça crée chez celles et ceux dont le travail est d'aider mais qui n'en ont pas les moyens matériels et/ou humains. Il y a aussi des liens évidents avec mon documentaire, Sauve qui peut qui questionne – là, au sein de l'hôpital publique – cette tension entre notre propre souffrance et celle des autres.

Pourquoi passer à la fiction ?
Concernant mon travail, la frontière entre documentaire et fiction est assez poreuse. J'ai l'impression que la fiction permet une distance qui rend certaines histoires regardables, même lorsqu'elles sont inspirées de faits réels. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il y a beaucoup de fictions dans mes documentaires. En réalité, je crois que l'une des principales différences entre documentaire et fiction, c'est leur financement et leur diffusion.

Votre film fut-il difficile à financer ?
J'ai l'impression qu'écrire le film était plus difficile que de le financer, mais c'est peut-être parce que ce n'est pas moi qui m'occupe du financement :) Tout ce que je peux dire, c'est que, de par son sujet et son ton, le film pouvait faire peur à certaines commissions qui pouvaient notamment émettre des jugements moraux quant au parcours du personnage principal. En Belgique, où je vis, j'ai eu l'impression que l'on me faisait confiance. Je crois que nous avons obtenu à peu près toutes les aides de la Fédération Wallonie Bruxelles du premier coup. Au CNC, l'accueil a été nettement plus compliqué. Nous avons tenté trois fois l'Avance sur recette : trois refus. Les retours étaient très déprimants. Nous avons également eu en France l'aide de la région Nouvelle-Aquitaine. Ainsi qu'Eurimage, la RTBF, BeTV, Ciné+, etc. Et nous venons d'avoir l'Avance après réalisation du CNC. Même si j'ai dû un peu réécrire pour rentrer dans le budget, je me sens assez chanceuse d'avoir pu faire ce film-là dans cette économie-là. Je me suis sentie très privilégiée.

A propos de vos producteurs. Vous aviez déjà travaillé avec Kidam. Comment est venu Benoit Roland?
Kika est le troisième film que je fais en co-production avec Kidam et Wrong Men. C'est François-Pierre Clavel qui m'a présenté Benoît en 2019 pour Palma. C'est maintenant Alexandre Perrier et Benoît Roland qui produisent mes films qui sont pour l'instant principalement financés par la Belgique.

Vous avez développé le scénario avec Thomas Van Zuylen. Quelles ont été les principales étapes ?
Pendant trois ans, j'ai écrit seule. Marion Desseigne-Ravel et Sara Wikler ont fait plusieurs consultations sur le scénario. La dernière année d'écriture, Thomas a fait un travail très important sur la structure du film. J'avais accumulé beaucoup de matériel documentaire. J'avais également recueilli beaucoup d'anecdotes. Le film contenait plusieurs lignes narratives et je ne voulais renoncer à aucune d'entre elles. Notre travail consistait à discuter pendant des heures chez moi et dans des cafés. C'est moi qui continuais à écrire, car j'ai du mal à partager cette tâche-là. Ensemble, nous avons restructuré et circonscrit l'histoire sur une période moins longue. La scène d'accouchement à l'origine de l'envie de faire ce film a été enlevée du scénario. C'est comme une scène-fantôme, ou plutôt une scène-échafaudage : grâce à elle, le film est là, mais elle a disparu.

Comment avez-vous choisi Manon Clavel ?
Pour ce rôle, j'ai rencontré de très nombreuses comédiennes en Belgique, en France et même au Québec. Quand Youna De Perreti m'a proposé de rencontrer Manon, je n'y croyais pas trop car je cherchais plutôt une femme d'une quarantaine d'années, et je la trouvais trop jolie. Mais quand je l'ai vue en essais, j'ai tout de suite été convaincue que ce serait elle. Vu le parcours singulier du personnage, je voulais qu'elle soit attachante. Je cherchais quelqu'un de solaire et de fondamentalement gentil. Il fallait aussi que la comédienne comprenne l'humour pince-sans-rire du personnage. Pour moi, Kika est quelqu'un qui affronte la vie un peu de biais, l'humour lui sert à mettre une distance entre elle et le monde. Manon a tout de suite compris ce ton particulier. Et elle n'avait pas peur des situations un peu étranges, tragi-comiques dans lesquelles je lui proposais d'aller. Elle n'avait pas peur d'être enlaidie. Globalement, elle semblait n'avoir peur de rien. C'était une joie immense de travailler avec une comédienne si précise et si enthousiaste. Le film lui doit énormément

Vous avez tourné en région bruxelloise. Cherchiez-vous des décors particuliers, une ambiance précise ?
Cette histoire pourrait avoir lieu en France. Mais on a tourné à Bruxelles principalement parce que j'y vis. J'allais sur le tournage en vélo. C'était très agréable, même si réaliser un film loin de chez soi a aussi des avantages : on n'a pas besoin de s'occuper de ses enfants en rentrant du travail.

Avez-vous rencontré des difficultés particulières pendant le tournage ?
Globalement, le tournage a été assez idyllique. Ce qui a été le plus difficile, je crois, c'est que nous avions énormément de personnages et de lieux de tournage. Un peu accaparée par les repérages et le casting, je n'ai pas pu me consacrer aux répétitions autant que je le souhaitais. A l'origine, je voulais que le film ait un côté plus documentaire et Emmanuelle Nicot, qui était la directrice de casting en Belgique, a rencontré énormément de personnes très proches – de par leur métier notamment – des personnages. Parce que nous n'avions plus assez de temps pour les répétitions, j'ai parfois fait le choix de travailler avec des comédiens professionnels plutôt qu'avec des non-professionnels. Vu les enjeux dramatiques de certaines séquences, et le peu de temps de préparation que nous avions, c'était, je pense, une bonne décision, même si, sur le coup, c'était assez frustrant. De la même façon, je voulais tourner dans un vrai centre d'aide social. Avec Colin Lévêque, le chef opérateur du film, nous voulions que Kika soit constamment en mouvement, ce qui impliquait de trouver un endroit plutôt vaste et ouvert. Parce que réquisitionner ce genre de structure pendant plusieurs jours est très compliqué, Julia Irribarria, la cheffe déco, a finalement complètement recréé un centre d'aide social. Pour l'hôtel de discrétion, par contre, nous avons loué un étage d'un établissement en activité. Les murs sont très fins, on entendait les clients copuler. Du coup, la plupart des bruits de coïts sont réels. A un moment, dans le vestibule, un client est même rentré dans le champ. Tout le monde a continué à jouer. C'était ma prise préférée. On l'a flouté pour pouvoir le garder.

Quand le film a-t-il été terminé ?
Très peu de temps avant Cannes. Le tournage s'est terminé en novembre. Agnès Bruckert, la monteuse de mes films, a commencé à monter pendant le tournage, pour que le film ait une chance d'être prêt dans l'éventualité d'une sélection cannoise. C'était une post-production très rapide. J'ai un peu l'impression d'avoir vécu un accouchement déclenché ; c'était express.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : DR


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