
Cannes 2025 – Julia Kowalski réalisatrice de "Que ma volonté soit faite" : "Je vois mon film comme un coup de feu tiré dans la nuit"
Date de publication : 16/05/2025 - 16:30
Son moyen métrage J'ai vu le visage du diable, a été sélectionné à la Quinzaine des Cinéastes en 2023 puis récompensé du Prix Jean Vigo. Elle revient à la Quinzaine avec son deuxième long métrage.
Comment présenter Que ma volonté soit faite en quelques mots ?
C’est un film qui parle de désir, un désir si fort qu’il semble impossible à assumer et qui provoque des manifestations surnaturelles. Il parle de ce bouillonnement intérieur qui nous démange tous, de la difficulté à s’échapper du carcan social, de notre besoin mais aussi de nos résistances à accepter « le monstre » que nous sommes. C’est l’histoire d’une femme qui n’assume pas sa féminité, et qui se pense monstrueuse. Le retour d’une sulfureuse voisine va précipiter son émancipation et plonger les deux femmes dans une descente aux enfers cauchemardesque.
Comment vous est venue l’idée de ce personnage de Nawojka ?
Une histoire de famille polonaise en France, une jeune femme qui n’assume pas ses désirs, un attrait pour la boue, le sang, la crasse et la chair... c’est bien simple, il y a beaucoup de moi dans le personnage de Nawojka, comme dans tous les personnages d’ailleurs ! Même si le contexte, les situations, sont à des années-lumière de ma propre vie. Je suis née en France de parents polonais, j’ai grandi dans cette double culture. Lorsque j’étais adolescente, je me considérais comme une sorcière. Je collectionnais des guides pratiques de magie noire enseignant l’art de se rendre invisible ou d’obtenir de quelqu’un qu’il vous aime. J’essayais de m’émanciper de la réalité, ou plus précisément de m’approprier ma féminité. Elle me faisait peur et m’attirait en même temps. Je n’ai pas changé d’avis : si je ne sais pas ce que c’est qu’être une femme, être sorcière, c’est être une femme.
Peut-on dire que vous continuez-vous à tracer un sillon qui a débuté avec J’ai vu le visage du diable ?
Il y a bien sûr une filiation entre les deux films : la même actrice principale - l’incandescente Maria Wróbel, qui interprète à nouveau une jeune femme convaincue d’être possédée ; toujours le poids de l’héritage familial, le carcan sociétal qui tourmente et qui pousse à la folie ; le même grain 16mm, la même équipe chère à mon cœur, la même volonté de creuser mon propre langage cinématographique, un sillon repoussant les conventions de genre pour faire entrer en friction fiction et documentaire.
J’ai conçu J’ai vu le visage du diable comme une excroissance de Que ma volonté soit faite. La possibilité de trouver des comédiens avec lesquels poursuivre un travail largement entamé, de m’imprégner du réel pour nourrir les scènes de possession à venir, d’expérimenter mon rapport à la nature comme métaphore fantastique, de tester une méthode de tournage à la fois légère et pourtant en pellicule. Le moyen métrage était le fruit de l’écriture du long, que je n’arrivais pas à financer.
Vous avez écrit le scénario seule. Quelles ont été les différentes étapes d’écriture ?
Le film a été en gestation pendant huit ans. Donc il a été réécrit maintes fois, notamment en vue des commissions. Les retours questionnaient souvent la vraisemblabilité d’un tel village, d’une telle communauté : le besoin d’explications narratives était la principale critique rencontrée dans mon parcours de recherche de financements. Et puis peu avant le tournage, j’ai entamé un travail de simplification. J’avais bien exploré la rhétorique de l’exorcisme dans le moyen métrage, j’ai donc évacué ici le personnage du prêtre exorciste. Le scénario a gagné en simplicité. J’ai plus largement élagué plusieurs histoires secondaires. Le film est devenu plus acéré. Je le vois maintenant comme un coup de feu tiré dans la nuit, quelque chose de très simple et qui va droit au but. Ce qui rejoint mon intention de départ. Au bout du compte, à part les dialogues explicatifs, très peu de choses ont été coupées au montage. Avec Isabelle Manquillet (qui était déjà la monteuse de J’ai vu le visage du diable), nous avons simplement poursuivi ce travail d’élagage : s’affranchir des back stories explicatives pour laisser une plus grande place à l’imagination. C’est tellement français de vouloir tout expliquer, rationnaliser au scénario, alors que le cinéma ne se situe pas là.
Comment avez-vous rencontré vos producteurs ?
Le projet a d’abord été développé par Mina Driouche, la productrice de mon 1er long métrage, dont la société s’est mise en veille pendant la période Covid. Puis il est passé dans les mains du distributeur de l’époque, qui voulait se lancer dans la production, mais qui souhaitait le faire avec un certain confort financier, et j’ai compris que je pouvais attendre longtemps avant de tourner. J’ai alors contacté Estelle Robin You, productrice chère à mon cœur puisqu’elle avait produit mes premiers documentaires à Nantes, des années auparavant. C’était en 2022, et depuis c’est allé très vite. Estelle a enfoncé toutes les portes avec Grande Ourse film, sa structure nouvellement créée qui est la production déléguée du film. Et le succès relatif de J’ai vu le visage du diable, tourné en parallèle, a aussi beaucoup aidé. Concernant Venin Films, c’est également une longue histoire : J’ai rencontré Yann Gonzalez en 2013 dans un festival à Tampere en Finlande, où nous présentions chacun un court métrage. Depuis nous sommes restés très proches, je le considère comme un frère, toujours là lorsque j’ai besoin d’un retour. Et puis, peu après le Covid, Yann et son associé Flavien Giorda, me voyant essuyer les refus des commissions pour financer ce long métrage, m’ont proposé de tourner rapidement un court métrage. C’est de cette façon qu’est né J’ai vu le visage du diable. La collaboration artistique a été tellement fluide qu’on a naturellement décidé de poursuivre ensemble sur le long métrage, formant avec Estelle un trio de co-producteurs qui fait des étincelles.
Comment avez-vous constitué votre casting ?
Maria Wróbel est une actrice exceptionnelle, qui sans nul doute ira très loin. Elle est intelligente, travailleuse, tellement sensible et assez folle pour me suivre partout. Poursuivre avec elle a été une évidence, j’ai tout de suite reconnu mon double en elle. Au moment de tourner J’ai vu le visage du diable, dans ma tête elle était déjà Nawojka. Ça m’a également paru logique de retravailler avec Wojciech Skibinski, qui jouait le prêtre exorciste dans le moyen métrage et qui interprète ici le père de Naw. Wojtek a un mélange de maladresse et de folie, de force et de faiblesse qui me plaît énormément. Pour les frères de Naw, j’ai effectué un casting en Pologne. Kuba et Przemek sont vite sortis du lot. Et enfin, Roxane Mesquida, en plus d’être une beauté renversante, a ce côté rock’n roll, cette audace devenue rare au cinéma. Roxane n’a peur de rien. Elle s’est roulée dans la boue, elle a accepté de tourner sans maquillage. Ce qui la rend encore plus sublime. Côté français, le casting est complété par Jean-Baptiste Durand, dont le visage à la fois doux et flippant me paraissait parfaitement traduire la complexité du personnage de Franck, le vétérinaire. Et enfin Raphaël Thiéry, un acteur d’une gentillesse et d’une générosité hors-normes, aussi bien dans le jeu que dans la vie, qui apporte une bonhomie terrienne à l’affreux Badel. Le casting est sans doute ce qui m’a pris le plus de temps car il s’est effectué étape par étape. J’attendais de valider un rôle avant de m’attaquer au suivant, afin d’harmoniser intelligemment les pièces d’une même famille, ou d’un même échiquier.
Vous avez tourné en Vendée en novembre et décembre 2024. Vous cherchiez des décors, une ambiance précise ?
Dans le film, il s’agit d’une famille polonaise implantée en France, suite au destin tragique de la mère par le passé. Nous aurions pu choisir un village « neutre » ; nous avons pourtant tourné à vingt minutes des Sables d’Olonne, ville où je suis née. Ce n’était pas prémédité. Le hasard ou le destin l’a voulu ainsi. J’ai visité soixante-trois fermes des Pays de la Loire (région qui a soutenu la production du projet) avant de m’arrêter sur celle du film, située près de Saint-Florent-des-Bois, en Vendée. La région n'avait jamais connu un hiver aussi froid et humide ! Le premier jour, tout le monde prêtait attention à sa tenue, nettoyait ses bottes pleines de terre avant de rentrer dans sa voiture. Mais très vite on est tous devenus des crouteux. On m’avait dit que les tracteurs et les véhicules de tournage s’enliseraient. La régie a même proposé de ramener un semi-remorque de gravier pour consolider le sol. Mais j’ai refusé : je n’imaginais pas le film sans boue. Ce n’était pas conscient, mais sans doute voulais-je recréer la Pologne rurale dont, bien que née en France, je suis originaire et que révèle la fin de Crache Cœur, mon premier long métrage.
Avez-vous mis au point une méthode de travail particulière ?
Ma méthode de travail, déjà largement développée dans J’ai vu le visage du diable, consiste à casser les équilibres de jeu, à introduire des "accidents" dans une scène qui pourrait me sembler trop bien huilée. C’est à mon sens ce qui donne de la vie à la scène. J’aime le moment où la scène devient parfaite, parce que j’ai l’impression que le travail va enfin pouvoir commencer. C’est donc primordial de savoir précisément où on va, pour pouvoir s’en émanciper. Je prépare beaucoup, je répète longtemps avec les acteurs, j’arrive en connaissant mon découpage sur le bout des doigts. Il y a peu de plans par scène, et de nombreux plans-séquence, dans lesquels on se permet parfois de couper au montage. Et bien sûr, l’idée c’est d’arriver à toujours rebondir sur place, au dernier moment, avec la situation réelle.
Des difficultés particulières durant le tournage ?
Je n’avais jamais vécu un tournage comme celui de Que ma volonté soit faite. Jusqu’à quatre scènes complexes à tourner en une seule journée, là où il aurait fallu une entière pour chacune. Et pour la première fois j’ai été confrontée au type de défi qu’on rencontre sur un film d’action : des armes, donc des armuriers ; du feu donc des artificiers ; des animaux, donc des animaliers et des dresseurs ; une escapade en pick-up avec une voiture-travelling.
Quand le film a-t-il été terminé ?
Il a été officiellement terminé le 6 mai, jour de la validation du DCP ! Jusqu’à la semaine d’avant, j’étais encore extrêmement concentrée sur les dernières étapes d’étalonnage mais aussi de dépétouillage (qui consiste à enlever certaines imperfections dues au 16mm, sauf que moi je ne veux pas toutes les enlever…).
A l’arrivée est-il semblable au film que vous aviez imaginé au départ ?
Oui je pense que le film est finalement très proche de ce que j’avais imaginé. Mais je crois qu’avec les nombreuses années de réécriture, le projet était devenu un ensemble de mots couchés sur le papier, et j’avais oublié ce qui m’avait poussée à faire ce film au départ. Je l’ai redécouvert au tournage, et au montage, non sans une grande dose de frayeur. J’ai eu l’impression d’être dévastée par un tsunami qui me rappelait qui j’étais.
Qu'attendez-vous de ce retour à la Quinzaine après y avoir présenté J’ai vu le visage du diable ?
Pour moi, la Quinzaine, c’est le Temple du Cinéma. C’est là qu’on trouve les films avec les plus grands déploiements de mise en scène, les plus audacieux ou les plus singuliers. C’est donc un immense honneur d’y revenir avec Que ma volonté soit faite. Je crois qu’il n’y avait pas de meilleure option possible pour ce film. Qu’est-ce que j’en attends ? De partager avec les autres cinéastes et avec le public cet amour inconditionnel du cinéma.
C’est un film qui parle de désir, un désir si fort qu’il semble impossible à assumer et qui provoque des manifestations surnaturelles. Il parle de ce bouillonnement intérieur qui nous démange tous, de la difficulté à s’échapper du carcan social, de notre besoin mais aussi de nos résistances à accepter « le monstre » que nous sommes. C’est l’histoire d’une femme qui n’assume pas sa féminité, et qui se pense monstrueuse. Le retour d’une sulfureuse voisine va précipiter son émancipation et plonger les deux femmes dans une descente aux enfers cauchemardesque.
Comment vous est venue l’idée de ce personnage de Nawojka ?
Une histoire de famille polonaise en France, une jeune femme qui n’assume pas ses désirs, un attrait pour la boue, le sang, la crasse et la chair... c’est bien simple, il y a beaucoup de moi dans le personnage de Nawojka, comme dans tous les personnages d’ailleurs ! Même si le contexte, les situations, sont à des années-lumière de ma propre vie. Je suis née en France de parents polonais, j’ai grandi dans cette double culture. Lorsque j’étais adolescente, je me considérais comme une sorcière. Je collectionnais des guides pratiques de magie noire enseignant l’art de se rendre invisible ou d’obtenir de quelqu’un qu’il vous aime. J’essayais de m’émanciper de la réalité, ou plus précisément de m’approprier ma féminité. Elle me faisait peur et m’attirait en même temps. Je n’ai pas changé d’avis : si je ne sais pas ce que c’est qu’être une femme, être sorcière, c’est être une femme.
Peut-on dire que vous continuez-vous à tracer un sillon qui a débuté avec J’ai vu le visage du diable ?
Il y a bien sûr une filiation entre les deux films : la même actrice principale - l’incandescente Maria Wróbel, qui interprète à nouveau une jeune femme convaincue d’être possédée ; toujours le poids de l’héritage familial, le carcan sociétal qui tourmente et qui pousse à la folie ; le même grain 16mm, la même équipe chère à mon cœur, la même volonté de creuser mon propre langage cinématographique, un sillon repoussant les conventions de genre pour faire entrer en friction fiction et documentaire.
J’ai conçu J’ai vu le visage du diable comme une excroissance de Que ma volonté soit faite. La possibilité de trouver des comédiens avec lesquels poursuivre un travail largement entamé, de m’imprégner du réel pour nourrir les scènes de possession à venir, d’expérimenter mon rapport à la nature comme métaphore fantastique, de tester une méthode de tournage à la fois légère et pourtant en pellicule. Le moyen métrage était le fruit de l’écriture du long, que je n’arrivais pas à financer.
Vous avez écrit le scénario seule. Quelles ont été les différentes étapes d’écriture ?
Le film a été en gestation pendant huit ans. Donc il a été réécrit maintes fois, notamment en vue des commissions. Les retours questionnaient souvent la vraisemblabilité d’un tel village, d’une telle communauté : le besoin d’explications narratives était la principale critique rencontrée dans mon parcours de recherche de financements. Et puis peu avant le tournage, j’ai entamé un travail de simplification. J’avais bien exploré la rhétorique de l’exorcisme dans le moyen métrage, j’ai donc évacué ici le personnage du prêtre exorciste. Le scénario a gagné en simplicité. J’ai plus largement élagué plusieurs histoires secondaires. Le film est devenu plus acéré. Je le vois maintenant comme un coup de feu tiré dans la nuit, quelque chose de très simple et qui va droit au but. Ce qui rejoint mon intention de départ. Au bout du compte, à part les dialogues explicatifs, très peu de choses ont été coupées au montage. Avec Isabelle Manquillet (qui était déjà la monteuse de J’ai vu le visage du diable), nous avons simplement poursuivi ce travail d’élagage : s’affranchir des back stories explicatives pour laisser une plus grande place à l’imagination. C’est tellement français de vouloir tout expliquer, rationnaliser au scénario, alors que le cinéma ne se situe pas là.
Comment avez-vous rencontré vos producteurs ?
Le projet a d’abord été développé par Mina Driouche, la productrice de mon 1er long métrage, dont la société s’est mise en veille pendant la période Covid. Puis il est passé dans les mains du distributeur de l’époque, qui voulait se lancer dans la production, mais qui souhaitait le faire avec un certain confort financier, et j’ai compris que je pouvais attendre longtemps avant de tourner. J’ai alors contacté Estelle Robin You, productrice chère à mon cœur puisqu’elle avait produit mes premiers documentaires à Nantes, des années auparavant. C’était en 2022, et depuis c’est allé très vite. Estelle a enfoncé toutes les portes avec Grande Ourse film, sa structure nouvellement créée qui est la production déléguée du film. Et le succès relatif de J’ai vu le visage du diable, tourné en parallèle, a aussi beaucoup aidé. Concernant Venin Films, c’est également une longue histoire : J’ai rencontré Yann Gonzalez en 2013 dans un festival à Tampere en Finlande, où nous présentions chacun un court métrage. Depuis nous sommes restés très proches, je le considère comme un frère, toujours là lorsque j’ai besoin d’un retour. Et puis, peu après le Covid, Yann et son associé Flavien Giorda, me voyant essuyer les refus des commissions pour financer ce long métrage, m’ont proposé de tourner rapidement un court métrage. C’est de cette façon qu’est né J’ai vu le visage du diable. La collaboration artistique a été tellement fluide qu’on a naturellement décidé de poursuivre ensemble sur le long métrage, formant avec Estelle un trio de co-producteurs qui fait des étincelles.
Comment avez-vous constitué votre casting ?
Maria Wróbel est une actrice exceptionnelle, qui sans nul doute ira très loin. Elle est intelligente, travailleuse, tellement sensible et assez folle pour me suivre partout. Poursuivre avec elle a été une évidence, j’ai tout de suite reconnu mon double en elle. Au moment de tourner J’ai vu le visage du diable, dans ma tête elle était déjà Nawojka. Ça m’a également paru logique de retravailler avec Wojciech Skibinski, qui jouait le prêtre exorciste dans le moyen métrage et qui interprète ici le père de Naw. Wojtek a un mélange de maladresse et de folie, de force et de faiblesse qui me plaît énormément. Pour les frères de Naw, j’ai effectué un casting en Pologne. Kuba et Przemek sont vite sortis du lot. Et enfin, Roxane Mesquida, en plus d’être une beauté renversante, a ce côté rock’n roll, cette audace devenue rare au cinéma. Roxane n’a peur de rien. Elle s’est roulée dans la boue, elle a accepté de tourner sans maquillage. Ce qui la rend encore plus sublime. Côté français, le casting est complété par Jean-Baptiste Durand, dont le visage à la fois doux et flippant me paraissait parfaitement traduire la complexité du personnage de Franck, le vétérinaire. Et enfin Raphaël Thiéry, un acteur d’une gentillesse et d’une générosité hors-normes, aussi bien dans le jeu que dans la vie, qui apporte une bonhomie terrienne à l’affreux Badel. Le casting est sans doute ce qui m’a pris le plus de temps car il s’est effectué étape par étape. J’attendais de valider un rôle avant de m’attaquer au suivant, afin d’harmoniser intelligemment les pièces d’une même famille, ou d’un même échiquier.
Vous avez tourné en Vendée en novembre et décembre 2024. Vous cherchiez des décors, une ambiance précise ?
Dans le film, il s’agit d’une famille polonaise implantée en France, suite au destin tragique de la mère par le passé. Nous aurions pu choisir un village « neutre » ; nous avons pourtant tourné à vingt minutes des Sables d’Olonne, ville où je suis née. Ce n’était pas prémédité. Le hasard ou le destin l’a voulu ainsi. J’ai visité soixante-trois fermes des Pays de la Loire (région qui a soutenu la production du projet) avant de m’arrêter sur celle du film, située près de Saint-Florent-des-Bois, en Vendée. La région n'avait jamais connu un hiver aussi froid et humide ! Le premier jour, tout le monde prêtait attention à sa tenue, nettoyait ses bottes pleines de terre avant de rentrer dans sa voiture. Mais très vite on est tous devenus des crouteux. On m’avait dit que les tracteurs et les véhicules de tournage s’enliseraient. La régie a même proposé de ramener un semi-remorque de gravier pour consolider le sol. Mais j’ai refusé : je n’imaginais pas le film sans boue. Ce n’était pas conscient, mais sans doute voulais-je recréer la Pologne rurale dont, bien que née en France, je suis originaire et que révèle la fin de Crache Cœur, mon premier long métrage.
Avez-vous mis au point une méthode de travail particulière ?
Ma méthode de travail, déjà largement développée dans J’ai vu le visage du diable, consiste à casser les équilibres de jeu, à introduire des "accidents" dans une scène qui pourrait me sembler trop bien huilée. C’est à mon sens ce qui donne de la vie à la scène. J’aime le moment où la scène devient parfaite, parce que j’ai l’impression que le travail va enfin pouvoir commencer. C’est donc primordial de savoir précisément où on va, pour pouvoir s’en émanciper. Je prépare beaucoup, je répète longtemps avec les acteurs, j’arrive en connaissant mon découpage sur le bout des doigts. Il y a peu de plans par scène, et de nombreux plans-séquence, dans lesquels on se permet parfois de couper au montage. Et bien sûr, l’idée c’est d’arriver à toujours rebondir sur place, au dernier moment, avec la situation réelle.
Des difficultés particulières durant le tournage ?
Je n’avais jamais vécu un tournage comme celui de Que ma volonté soit faite. Jusqu’à quatre scènes complexes à tourner en une seule journée, là où il aurait fallu une entière pour chacune. Et pour la première fois j’ai été confrontée au type de défi qu’on rencontre sur un film d’action : des armes, donc des armuriers ; du feu donc des artificiers ; des animaux, donc des animaliers et des dresseurs ; une escapade en pick-up avec une voiture-travelling.
Quand le film a-t-il été terminé ?
Il a été officiellement terminé le 6 mai, jour de la validation du DCP ! Jusqu’à la semaine d’avant, j’étais encore extrêmement concentrée sur les dernières étapes d’étalonnage mais aussi de dépétouillage (qui consiste à enlever certaines imperfections dues au 16mm, sauf que moi je ne veux pas toutes les enlever…).
A l’arrivée est-il semblable au film que vous aviez imaginé au départ ?
Oui je pense que le film est finalement très proche de ce que j’avais imaginé. Mais je crois qu’avec les nombreuses années de réécriture, le projet était devenu un ensemble de mots couchés sur le papier, et j’avais oublié ce qui m’avait poussée à faire ce film au départ. Je l’ai redécouvert au tournage, et au montage, non sans une grande dose de frayeur. J’ai eu l’impression d’être dévastée par un tsunami qui me rappelait qui j’étais.
Qu'attendez-vous de ce retour à la Quinzaine après y avoir présenté J’ai vu le visage du diable ?
Pour moi, la Quinzaine, c’est le Temple du Cinéma. C’est là qu’on trouve les films avec les plus grands déploiements de mise en scène, les plus audacieux ou les plus singuliers. C’est donc un immense honneur d’y revenir avec Que ma volonté soit faite. Je crois qu’il n’y avait pas de meilleure option possible pour ce film. Qu’est-ce que j’en attends ? De partager avec les autres cinéastes et avec le public cet amour inconditionnel du cinéma.
Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : Patrick Hadjadj
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