
Cannes 2025 – Hasan Hadi réalisateur de "The president’s cake" : "C’est une réflexion sur mon enfance dans l'Irak de Saddam"
Date de publication : 19/05/2025 - 08:31
Originaire du sud de l’Irak ou il a grandi pendant la guerre, Hasan Hadi a travaillé dans le journalisme, la production et en tant que professeur associé de cinéma à l'université de New York. The President's Cake, son premier film, fait partie de la sélection de la Quinzaine des Cinéastes.
Quelques mots sur votre parcours... Comment êtes-vous venu au cinéma ?
Je suis né et j'ai grandi en Irak. J'aimerais pouvoir dire que je suis tombé amoureux du cinéma en allant au cinéma et en regardant des doubles séances sur grand écran. Mais mon amour pour le cinéma et les films est né devant un petit écran de télévision et en faisant passer clandestinement des cassettes VHS à ma famille et à mes proches. À l'époque, je n'avais pas accès aux cinémas en raison des sanctions internationales. Malgré le nombre important de salles, elles avaient toutes été transformées en entrepôts, en cinémas pornographiques ou pire encore, elles étaient vides et fermées.
Mais tomber amoureux des films, ce n'est pas la même chose que tomber amoureux du cinéma. Je dirais que c'est la passion, l'amour, beaucoup de souffrance et de tragédie qui m'ont amené à tomber amoureux du cinéma. Dans le cinéma, j'ai trouvé un moyen de guérir et de surmonter les difficultés et les traumatismes qui ont marqué mon enfance.
Comment présentez-vous The President's Cake en quelques mots ?
The President's Cake est une réflexion sur mon enfance dans l'Irak de Saddam. C'est mélancolique, ironique, mais aussi drôle et même romantique.
D'où vous est venue l'idée de ce film ?
J'ai grandi alors que le pays était soumis à des sanctions strictes et j'ai traversé la crise socio-économique la plus dévastatrice de son histoire. J'ai vu ma famille et mes voisins prendre des mesures désespérées pour survivre au quotidien. Malgré des souffrances incommensurables, Saddam obligeait les Irakiens, y compris les écoliers, à célébrer son anniversaire sous peine de sanctions. Des questions telles que : qu'est-ce qui est moral et immoral face à un abus de pouvoir ? Vaut-il la peine de punir tout un peuple pour affaiblir le pouvoir d'un seul ? Notre silence nous rend-il complices face à l'injustice ? sont au cœur du film et m'ont inspiré cette histoire.
Chaque année, notre professeur entrait dans la classe, un bol à la main, et nous demandait d’y mettre notre nom afin qu'il puisse choisir l'élève chargé de préparer le gâteau d'anniversaire du président et d'apporter d'autres objets tels que des fruits, des décorations et des fleurs. Une année, j'ai été chargé des fleurs. Je me souviens que ma famille était très soulagée, car je n'avais qu'à apporter un bouquet pour la fête. Les deux personnages sont également inspirés de mes années d'école. J'ai donc écrit ce film en m'inspirant de mes souvenirs d'enfance pour explorer des thèmes tels que l'innocence, la victimisation de la population, l'amitié, le pouvoir de l'amour et le sacrifice personnel.
Avez-vous écrit le scénario seul ?
Oui, j'ai écrit le scénario moi-même. Le processus d'écriture n'a pas pris beaucoup de temps. Je connaissais bien l'univers et les personnages dont je parlais, ce qui m'a facilité la tâche. De plus, le scénario a participé au Sundance January Screenwriters Lab et au Sundance Directors Lab. La-bas j'ai eu la chance d'avoir des mentors formidables, tels qu'Eric Roth et Marielle Heller, qui sont ensuite devenus mes producteurs exécutifs sur ce film. Finalement, j'ai abouti à un scénario que je pensais prêt à être tourné. Mais lorsque nous avons commencé la préproduction et le casting, j'ai senti qu'il était temps d'adapter mon scénario à la réalité du terrain. Je pense qu'un bon scénario est la base d'un bon film, mais c’est aussi un être vivant en quelques sortes. Il respire et parfois, il nous parle. Il lui faut changer pour devenir meilleur. C’est une réalité qui s’impose à tout cinéaste
Comment avez-vous rencontré votre productrice de TPC Film ?
Leah et moi travaillons ensemble depuis que nous nous sommes rencontrées au NYU Tisch Graduate Film Program. Lorsque je l'ai rencontrée pour la première fois, je lui ai demandé si elle voulait bien produire un court métrage que j'allais réaliser. Notre collaboration a été fructueuse et depuis, elle travaille sur tous mes projets. Elle m’a accompagné sur celui-ci dès que j'ai écrit les premiers mots et m’a accompagné à chaque étape.
A-t-il été difficile d'obtenir un financement ?
Obtenir un financement et réaliser un film indépendant est de toute façon une mission presque « impossible ». Et le fait qu'il s'agisse d'un film étranger, avec des acteurs non professionnels, des enfants et un tournage en Irak n'a certainement pas facilité la tâche. Cependant, nous avons obtenu le soutien de nombreuses institutions et subventions. Et finalement, nous avons trouvé un groupe de financiers très enthousiastes, qui admirent les récits authentiques. Je suis heureux et chanceux d'avoir eu l'occasion de réaliser un film sans compromettre ma vision artistique. Ce n'est pas toujours le cas.
Comment avez-vous constitué votre casting ?
J'ai trouvé presque tous mes personnages grâce à des castings sauvages. Dans certains cas, nous nous sommes inspirés de personnes intéressantes que nous avons rencontrées. Mais nous cherché pendant des mois les deux enfants capables de porter ce film à eux seuls. Choisir deux enfants qui n'avaient jamais été devant une caméra ni suivi de cours de théâtre était une décision risquée. Mais mon objectif était clair dès le départ, car je savais que je ne cherchais pas des acteurs, mais des personnages réels que je filmerais tels quels. Cela peut sembler cliché, mais cela a vraiment ma ligne directrice pendant le casting.
Le premier acteur que nous avons trouvé a été Saeed, le garçon. Croyez-le ou non, nous l'avons trouvé presque dès le premier jour de notre casting sauvage Je suis entré dans ce café qui nous semblait être un endroit sympa pour notre film. Et alors que nous commencions à prendre des photos, Sajad (Saeed) est apparu. Il était très fatigué, mais on voyait qu'il était curieux. Il s'est approché de moi pour me demander ce que je faisais et sa façon de marcher, de se tenir m'ont donné l'impression que cet enfant n'avait pas connu de jours faciles dans sa vie. Je lui ai demandé s'il avait envie de passer devant la caméra, mais il n'a pas vraiment compris ce que je voulais dire. C’était parfait car je pense que les meilleurs enfants acteurs sont ceux qui ne veulent pas être acteurs. Je lui ai demandé le numéro de téléphone de son père et il m'a répondu : « Mon père est mort ». J'ai pu lire de la douleur dans ses yeux. Quoi qu'il en soit, il n'avait pas de numéro de téléphone et ne connaissait pas non plus celui de sa mère (il était un peu maladroit, exactement comme je l'avais imaginé dans le scénario). Nous lui avons donc donné un bout de papier avec notre numéro et lui avons demandé de nous appeler. Les jours ont passé, mais aucun appel il avait tout simplement disparu. Le casting s'est poursuivi mais je ne trouvais pas le bon Saeed et Sajad me revenait sans cesse à l'esprit. Un jour, nous avons envoyé quelqu'un le chercher à partir d'une vidéo que j'avais faite de lui. Le type a fouillé les quartiers jusqu'à ce que, par chance, nous le retrouvions. Evidemment il me fallait le tester. Je l'ai filmé et j'ai eu une brève conversation avec lui. Quelque chose de magique s'est produit lorsqu'il a commencé à me raconter son histoire. J'ai tout de suite su que c'était lui. Malheureusement il a eu une fâcheuse tendance à disparaître de temps en temps avant de réapparaître. J’ai failli avoir quelques crises cardiaques pendant le tournage, mais je suis à présent heureux qu'il fasse désormais partie du film pour toujours.
Trouver Lamia a été une autre histoire. Il est difficile de trouver des filles ou des femmes qui n'ont aucun problème pour apparaître à l'écran. Ce n’est pas très bien vu socialement de faire l’actrice, surtout dans les quartiers très populaires. Certes les mentalités changent, mais cela reste un problème. Nous avons donc passé beaucoup de temps sans parvenir à trouver Lamia. Je n'exagère pas en disant que nous avons vu des centaines, voire des milliers de filles, visité des dizaines d'écoles et plusieurs villes à sa recherche. À un moment donné, nous avons commencé à revoir les mêmes enfants, car nous avions presque épuisé toutes les possibilités dans certains villages et quartiers. Nous étions à deux semaines du tournage et nous n'avions toujours pas trouvé Lamia. Évidemment, tout le monde commençait à douter mais j'avais le sentiment qu'elle allait arriver et qu'elle serait là. Un matin, l'un de nos assistants a tourné une vidéo d'une minute d'une fille qui s’était présentée. J'ai immédiatement su que c'était elle que nous cherchions. Elle avait exactement l'attitude, le regard et le sourire qu’il fallait. Fait d’autant plus intéressant, j’ai découvert qu'elle venait de la région des marais et elle avait déménagé avec sa famille à Bagdad.
Avez-vous cherché des lieux spécifiques ou une atmosphère particulière pour tourner votre film ?
Le film a été entièrement tourné dans des lieux réels et historiques en Irak. Il était important pour nous de rendre les années 1990 aussi authentiques et réalistes que possible. Je me souviens avoir dit à mes collaborateurs que le film devait donner l'impression d'avoir été retrouvé dans les archives d'une institution. Par exemple, nous avons tourné dans les marais de Mésopotamie, où l'on pense que la première civilisation de l'histoire est née, ou a vécu Gilgamesh, etc. Les gens y vivent toujours comme ils le faisaient il y a des milliers d'années. Saddam a réussi à assécher les marais pour la première fois de l'histoire. Un grand, crime contre la nature et l'environnement. On en a un aperçu dans le film quand on voit certaines personnes quitter les marais et brûler leurs maisons. J'aime que les décors fassent partie de l'histoire, qu'ils transmettent un message spécifique sur l'histoire ou le monde dans lequel nous vivons. Par exemple, la scène du checkpoint se déroule avec la Zighourat Ur en arrière-plan, où l'on dit qu'Ibrahim a été sauvé de la mort, mais dans le même plan, on voit des jeunes tués au combat dans leur cercueils. Autre exemple la scène du restaurant, se déroule dans l’établissement où Saddam avait l'habitude de manger quand il était jeune, etc.
Chaque décor a sa propre histoire et ajoute sa propre dimension au récit. Quoi qu'il en soit, je suis heureux que le film ait documenté certains lieux, car en Irak, nous ne disposons pas d’archives visuelles. Imaginez que près de 80 % des rues et des bâtiments que j'ai filmés ont été démolis ou rénovés. Nous avons consacré énormément de travail à la conception visuelle du film en recréant avec précision sites célèbres en Irak, comme la salle de classe et le marché aux puces. Le film pourra servir de témoignage visuel d'une certaine période de l'histoire de l'Irak.
Avez-vous développé une méthode de travail particulière ?
Il n'y a eu aucune répétition avec nos acteurs. En fait, aucun d'entre eux ne connaissait l'histoire dans son intégralité. Nous avons essayé de tourner de manière assez chronologique afin de préserver l'émotion brute des scènes. J'ai procédé à un autre type de répétition, qui consistait simplement à apprendre à bien connaître mes acteurs et à créer des liens entre eux. Il était important pour moi de développer une relation de confiance avec eux afin qu'ils puissent se sentir soutenus quoi qu'il arrive et qu'ils aient la liberté d'être eux-mêmes en toutes circonstances. Par exemple, avec les enfants, nous nous nous retrouvions pour jouer à des jeux, faire des exercices ensemble, danser et parler de nous-mêmes. Nous inventions une scène et la jouions ensemble, puis nous les amenions à explorer leurs émotions.
J’ai juste précisé quelques règles à mes comédiens. La première : si nous faisons plusieurs prises, ce ne sera pas à cause de vous, mais parce qu'il y a beaucoup d'autres raisons qui nous obligent à répéter la prise. La deuxième: vous restez dans la scène jusqu'à ce que vous entendiez "coupez". La troisième: il n'y a pas d'erreurs, ce n'est pas un examen au cours duquel il faut apporter une bonne réponse. Les non-acteurs, sont comme des "chevaux sauvages", si je puis dire, il faut les guider doucement sans polluer leurs qualités brutes et leurs instincts. Par ailleurs j’ai fait en sorte de les laisser vivre le moment de la scène. Je veux dire par là que lorsque je veux qu'un acteur soit triste, je ne lui demande pas de l’être, mais je crée plutôt une situation afin de l'amener là où la scène l'exige.
Je pense que mes acteurs ont été très généreux avec moi grâce à la confiance que nous avons développée ensemble. Ils se sont ouverts et ont exposé toutes les vulnérabilités de leur personnalité parce qu'ils savaient que je n'en abuserais pas et que je ne les ferais pas passer pour des méchants.
Avez-vous rencontré des difficultés particulières pendant le tournage ?
Le tournage en Irak a été extrêmement difficile et les anecdotes sont innombrables. Mais je vais vous en raconter une amusante qui nous est arrivée pendant le tournage. Lorsque nous tournions la scène du défilé, nous avions bloqué les rues et tout recouvert, en particulier les photos de Saddam, afin d'éviter d'attirer des foules indésirables, des regards et l'attention. Une fois la scène tournée, nous sommes retournés au bureau pour discuter du tournage du lendemain. Alors que nous nous préparions, mon téléphone a commencé à sonner sans arrêt. J'ai alors vu que le défilé passait aux informations. Tout le monde disait que les partisans de Saddam avaient pris le contrôle des rues et se demandait comment le gouvernement avait pu laisser faire cela. Très vite, des rumeurs ont commencé à se répandre et le bruit a couru qu'il y avait eu une tentative de coup d'État et que l'armée l'avait déjouée.
Puis tout s’est enflammé sur les réseaux sociaux. Certains disaient que les images dataient de l'époque de Saddam, tandis que d'autres affirmaient qu'il s'agissait bien des partisans de Saddam. Ensuite, certaines chaînes de télévision ont commencé à dire que le réalisateur avait filmé une scène avec 20 personnes portant des photos de Saddam et que, soudain, d'autres personnes les avaient rejoints et que tout s'était transformé en une célébration de Saddam. Le bureau des autorisations nous a alors avisé que nous ne pourrions pas tourner le lendemain, car nous avions provoqué un scandale. Mon équipe a alors contacté une grande chaîne d'information pour lui raconter ce qui s'était réellement passé. Heureusement, nous avons été autorisés à poursuivre le tournage, mais il aurait pu être compromis en quelques heures.
Quand le film a-t-il été terminé ?
La production s'est officiellement terminée le 28 avril 2025, jour de l'anniversaire de Saddam. Ce n'était pas du tout intentionnel, mais cela a pris une signification particulière lorsque cela s'est produit.
Le résultat final est-il similaire à ce que vous aviez imaginé au départ ?
Je dirais que oui, dans une certaine mesure, mais aussi non, dans une autre mesure, et dans d'autres cas, il a dépassé mes attentes. Il me représente, moi, l'enfant irakien qui ait grandi à cette époque et dans cette région de l'Irak, avec mes faiblesses et mes forces. Peut-être que dans dix ans, je le regarderai avec un autre regard différent, mais pour l'instant, ce film, c'est moi. Je pense avoir réussi à créer quelque chose qui se rapproche de ce que j'avais en tête.
Quelles sont vos attentes pour cette sélection à la Quinzaine ?
C'est vraiment un rêve devenu réalité que de présenter le film à la Quinzaine pour sa première mondiale. La Quinzaine des Cinéastes est connue pour défendre et présenter des voix et des films singuliers, audacieux et uniques. C'est l'endroit idéal pour présenter le film. Et c'est encore plus spécial grâce au soutien chaleureux que nous avons reçus de l'équipe de la Quinzaine. Je suis enthousiasmé par la façon dont ils ont perçu le film, d’autant que cela nous permet de présenter le film à un public international dans les meilleures conditions possibles. Jusqu'à présent, le plus grand compliment que j'ai reçu est celui du directeur artistique de la Quinzaine, Julien Rejl, qui a déclaré que le film, les personnages et la narration lui rappelaient Kiarostami. Je le considère comme l'un des plus grands honneurs qui soient.
Je suis né et j'ai grandi en Irak. J'aimerais pouvoir dire que je suis tombé amoureux du cinéma en allant au cinéma et en regardant des doubles séances sur grand écran. Mais mon amour pour le cinéma et les films est né devant un petit écran de télévision et en faisant passer clandestinement des cassettes VHS à ma famille et à mes proches. À l'époque, je n'avais pas accès aux cinémas en raison des sanctions internationales. Malgré le nombre important de salles, elles avaient toutes été transformées en entrepôts, en cinémas pornographiques ou pire encore, elles étaient vides et fermées.
Mais tomber amoureux des films, ce n'est pas la même chose que tomber amoureux du cinéma. Je dirais que c'est la passion, l'amour, beaucoup de souffrance et de tragédie qui m'ont amené à tomber amoureux du cinéma. Dans le cinéma, j'ai trouvé un moyen de guérir et de surmonter les difficultés et les traumatismes qui ont marqué mon enfance.
Comment présentez-vous The President's Cake en quelques mots ?
The President's Cake est une réflexion sur mon enfance dans l'Irak de Saddam. C'est mélancolique, ironique, mais aussi drôle et même romantique.
D'où vous est venue l'idée de ce film ?
J'ai grandi alors que le pays était soumis à des sanctions strictes et j'ai traversé la crise socio-économique la plus dévastatrice de son histoire. J'ai vu ma famille et mes voisins prendre des mesures désespérées pour survivre au quotidien. Malgré des souffrances incommensurables, Saddam obligeait les Irakiens, y compris les écoliers, à célébrer son anniversaire sous peine de sanctions. Des questions telles que : qu'est-ce qui est moral et immoral face à un abus de pouvoir ? Vaut-il la peine de punir tout un peuple pour affaiblir le pouvoir d'un seul ? Notre silence nous rend-il complices face à l'injustice ? sont au cœur du film et m'ont inspiré cette histoire.
Chaque année, notre professeur entrait dans la classe, un bol à la main, et nous demandait d’y mettre notre nom afin qu'il puisse choisir l'élève chargé de préparer le gâteau d'anniversaire du président et d'apporter d'autres objets tels que des fruits, des décorations et des fleurs. Une année, j'ai été chargé des fleurs. Je me souviens que ma famille était très soulagée, car je n'avais qu'à apporter un bouquet pour la fête. Les deux personnages sont également inspirés de mes années d'école. J'ai donc écrit ce film en m'inspirant de mes souvenirs d'enfance pour explorer des thèmes tels que l'innocence, la victimisation de la population, l'amitié, le pouvoir de l'amour et le sacrifice personnel.
Avez-vous écrit le scénario seul ?
Oui, j'ai écrit le scénario moi-même. Le processus d'écriture n'a pas pris beaucoup de temps. Je connaissais bien l'univers et les personnages dont je parlais, ce qui m'a facilité la tâche. De plus, le scénario a participé au Sundance January Screenwriters Lab et au Sundance Directors Lab. La-bas j'ai eu la chance d'avoir des mentors formidables, tels qu'Eric Roth et Marielle Heller, qui sont ensuite devenus mes producteurs exécutifs sur ce film. Finalement, j'ai abouti à un scénario que je pensais prêt à être tourné. Mais lorsque nous avons commencé la préproduction et le casting, j'ai senti qu'il était temps d'adapter mon scénario à la réalité du terrain. Je pense qu'un bon scénario est la base d'un bon film, mais c’est aussi un être vivant en quelques sortes. Il respire et parfois, il nous parle. Il lui faut changer pour devenir meilleur. C’est une réalité qui s’impose à tout cinéaste
Comment avez-vous rencontré votre productrice de TPC Film ?
Leah et moi travaillons ensemble depuis que nous nous sommes rencontrées au NYU Tisch Graduate Film Program. Lorsque je l'ai rencontrée pour la première fois, je lui ai demandé si elle voulait bien produire un court métrage que j'allais réaliser. Notre collaboration a été fructueuse et depuis, elle travaille sur tous mes projets. Elle m’a accompagné sur celui-ci dès que j'ai écrit les premiers mots et m’a accompagné à chaque étape.
A-t-il été difficile d'obtenir un financement ?
Obtenir un financement et réaliser un film indépendant est de toute façon une mission presque « impossible ». Et le fait qu'il s'agisse d'un film étranger, avec des acteurs non professionnels, des enfants et un tournage en Irak n'a certainement pas facilité la tâche. Cependant, nous avons obtenu le soutien de nombreuses institutions et subventions. Et finalement, nous avons trouvé un groupe de financiers très enthousiastes, qui admirent les récits authentiques. Je suis heureux et chanceux d'avoir eu l'occasion de réaliser un film sans compromettre ma vision artistique. Ce n'est pas toujours le cas.
Comment avez-vous constitué votre casting ?
J'ai trouvé presque tous mes personnages grâce à des castings sauvages. Dans certains cas, nous nous sommes inspirés de personnes intéressantes que nous avons rencontrées. Mais nous cherché pendant des mois les deux enfants capables de porter ce film à eux seuls. Choisir deux enfants qui n'avaient jamais été devant une caméra ni suivi de cours de théâtre était une décision risquée. Mais mon objectif était clair dès le départ, car je savais que je ne cherchais pas des acteurs, mais des personnages réels que je filmerais tels quels. Cela peut sembler cliché, mais cela a vraiment ma ligne directrice pendant le casting.
Le premier acteur que nous avons trouvé a été Saeed, le garçon. Croyez-le ou non, nous l'avons trouvé presque dès le premier jour de notre casting sauvage Je suis entré dans ce café qui nous semblait être un endroit sympa pour notre film. Et alors que nous commencions à prendre des photos, Sajad (Saeed) est apparu. Il était très fatigué, mais on voyait qu'il était curieux. Il s'est approché de moi pour me demander ce que je faisais et sa façon de marcher, de se tenir m'ont donné l'impression que cet enfant n'avait pas connu de jours faciles dans sa vie. Je lui ai demandé s'il avait envie de passer devant la caméra, mais il n'a pas vraiment compris ce que je voulais dire. C’était parfait car je pense que les meilleurs enfants acteurs sont ceux qui ne veulent pas être acteurs. Je lui ai demandé le numéro de téléphone de son père et il m'a répondu : « Mon père est mort ». J'ai pu lire de la douleur dans ses yeux. Quoi qu'il en soit, il n'avait pas de numéro de téléphone et ne connaissait pas non plus celui de sa mère (il était un peu maladroit, exactement comme je l'avais imaginé dans le scénario). Nous lui avons donc donné un bout de papier avec notre numéro et lui avons demandé de nous appeler. Les jours ont passé, mais aucun appel il avait tout simplement disparu. Le casting s'est poursuivi mais je ne trouvais pas le bon Saeed et Sajad me revenait sans cesse à l'esprit. Un jour, nous avons envoyé quelqu'un le chercher à partir d'une vidéo que j'avais faite de lui. Le type a fouillé les quartiers jusqu'à ce que, par chance, nous le retrouvions. Evidemment il me fallait le tester. Je l'ai filmé et j'ai eu une brève conversation avec lui. Quelque chose de magique s'est produit lorsqu'il a commencé à me raconter son histoire. J'ai tout de suite su que c'était lui. Malheureusement il a eu une fâcheuse tendance à disparaître de temps en temps avant de réapparaître. J’ai failli avoir quelques crises cardiaques pendant le tournage, mais je suis à présent heureux qu'il fasse désormais partie du film pour toujours.
Trouver Lamia a été une autre histoire. Il est difficile de trouver des filles ou des femmes qui n'ont aucun problème pour apparaître à l'écran. Ce n’est pas très bien vu socialement de faire l’actrice, surtout dans les quartiers très populaires. Certes les mentalités changent, mais cela reste un problème. Nous avons donc passé beaucoup de temps sans parvenir à trouver Lamia. Je n'exagère pas en disant que nous avons vu des centaines, voire des milliers de filles, visité des dizaines d'écoles et plusieurs villes à sa recherche. À un moment donné, nous avons commencé à revoir les mêmes enfants, car nous avions presque épuisé toutes les possibilités dans certains villages et quartiers. Nous étions à deux semaines du tournage et nous n'avions toujours pas trouvé Lamia. Évidemment, tout le monde commençait à douter mais j'avais le sentiment qu'elle allait arriver et qu'elle serait là. Un matin, l'un de nos assistants a tourné une vidéo d'une minute d'une fille qui s’était présentée. J'ai immédiatement su que c'était elle que nous cherchions. Elle avait exactement l'attitude, le regard et le sourire qu’il fallait. Fait d’autant plus intéressant, j’ai découvert qu'elle venait de la région des marais et elle avait déménagé avec sa famille à Bagdad.
Avez-vous cherché des lieux spécifiques ou une atmosphère particulière pour tourner votre film ?
Le film a été entièrement tourné dans des lieux réels et historiques en Irak. Il était important pour nous de rendre les années 1990 aussi authentiques et réalistes que possible. Je me souviens avoir dit à mes collaborateurs que le film devait donner l'impression d'avoir été retrouvé dans les archives d'une institution. Par exemple, nous avons tourné dans les marais de Mésopotamie, où l'on pense que la première civilisation de l'histoire est née, ou a vécu Gilgamesh, etc. Les gens y vivent toujours comme ils le faisaient il y a des milliers d'années. Saddam a réussi à assécher les marais pour la première fois de l'histoire. Un grand, crime contre la nature et l'environnement. On en a un aperçu dans le film quand on voit certaines personnes quitter les marais et brûler leurs maisons. J'aime que les décors fassent partie de l'histoire, qu'ils transmettent un message spécifique sur l'histoire ou le monde dans lequel nous vivons. Par exemple, la scène du checkpoint se déroule avec la Zighourat Ur en arrière-plan, où l'on dit qu'Ibrahim a été sauvé de la mort, mais dans le même plan, on voit des jeunes tués au combat dans leur cercueils. Autre exemple la scène du restaurant, se déroule dans l’établissement où Saddam avait l'habitude de manger quand il était jeune, etc.
Chaque décor a sa propre histoire et ajoute sa propre dimension au récit. Quoi qu'il en soit, je suis heureux que le film ait documenté certains lieux, car en Irak, nous ne disposons pas d’archives visuelles. Imaginez que près de 80 % des rues et des bâtiments que j'ai filmés ont été démolis ou rénovés. Nous avons consacré énormément de travail à la conception visuelle du film en recréant avec précision sites célèbres en Irak, comme la salle de classe et le marché aux puces. Le film pourra servir de témoignage visuel d'une certaine période de l'histoire de l'Irak.
Avez-vous développé une méthode de travail particulière ?
Il n'y a eu aucune répétition avec nos acteurs. En fait, aucun d'entre eux ne connaissait l'histoire dans son intégralité. Nous avons essayé de tourner de manière assez chronologique afin de préserver l'émotion brute des scènes. J'ai procédé à un autre type de répétition, qui consistait simplement à apprendre à bien connaître mes acteurs et à créer des liens entre eux. Il était important pour moi de développer une relation de confiance avec eux afin qu'ils puissent se sentir soutenus quoi qu'il arrive et qu'ils aient la liberté d'être eux-mêmes en toutes circonstances. Par exemple, avec les enfants, nous nous nous retrouvions pour jouer à des jeux, faire des exercices ensemble, danser et parler de nous-mêmes. Nous inventions une scène et la jouions ensemble, puis nous les amenions à explorer leurs émotions.
J’ai juste précisé quelques règles à mes comédiens. La première : si nous faisons plusieurs prises, ce ne sera pas à cause de vous, mais parce qu'il y a beaucoup d'autres raisons qui nous obligent à répéter la prise. La deuxième: vous restez dans la scène jusqu'à ce que vous entendiez "coupez". La troisième: il n'y a pas d'erreurs, ce n'est pas un examen au cours duquel il faut apporter une bonne réponse. Les non-acteurs, sont comme des "chevaux sauvages", si je puis dire, il faut les guider doucement sans polluer leurs qualités brutes et leurs instincts. Par ailleurs j’ai fait en sorte de les laisser vivre le moment de la scène. Je veux dire par là que lorsque je veux qu'un acteur soit triste, je ne lui demande pas de l’être, mais je crée plutôt une situation afin de l'amener là où la scène l'exige.
Je pense que mes acteurs ont été très généreux avec moi grâce à la confiance que nous avons développée ensemble. Ils se sont ouverts et ont exposé toutes les vulnérabilités de leur personnalité parce qu'ils savaient que je n'en abuserais pas et que je ne les ferais pas passer pour des méchants.
Avez-vous rencontré des difficultés particulières pendant le tournage ?
Le tournage en Irak a été extrêmement difficile et les anecdotes sont innombrables. Mais je vais vous en raconter une amusante qui nous est arrivée pendant le tournage. Lorsque nous tournions la scène du défilé, nous avions bloqué les rues et tout recouvert, en particulier les photos de Saddam, afin d'éviter d'attirer des foules indésirables, des regards et l'attention. Une fois la scène tournée, nous sommes retournés au bureau pour discuter du tournage du lendemain. Alors que nous nous préparions, mon téléphone a commencé à sonner sans arrêt. J'ai alors vu que le défilé passait aux informations. Tout le monde disait que les partisans de Saddam avaient pris le contrôle des rues et se demandait comment le gouvernement avait pu laisser faire cela. Très vite, des rumeurs ont commencé à se répandre et le bruit a couru qu'il y avait eu une tentative de coup d'État et que l'armée l'avait déjouée.
Puis tout s’est enflammé sur les réseaux sociaux. Certains disaient que les images dataient de l'époque de Saddam, tandis que d'autres affirmaient qu'il s'agissait bien des partisans de Saddam. Ensuite, certaines chaînes de télévision ont commencé à dire que le réalisateur avait filmé une scène avec 20 personnes portant des photos de Saddam et que, soudain, d'autres personnes les avaient rejoints et que tout s'était transformé en une célébration de Saddam. Le bureau des autorisations nous a alors avisé que nous ne pourrions pas tourner le lendemain, car nous avions provoqué un scandale. Mon équipe a alors contacté une grande chaîne d'information pour lui raconter ce qui s'était réellement passé. Heureusement, nous avons été autorisés à poursuivre le tournage, mais il aurait pu être compromis en quelques heures.
Quand le film a-t-il été terminé ?
La production s'est officiellement terminée le 28 avril 2025, jour de l'anniversaire de Saddam. Ce n'était pas du tout intentionnel, mais cela a pris une signification particulière lorsque cela s'est produit.
Le résultat final est-il similaire à ce que vous aviez imaginé au départ ?
Je dirais que oui, dans une certaine mesure, mais aussi non, dans une autre mesure, et dans d'autres cas, il a dépassé mes attentes. Il me représente, moi, l'enfant irakien qui ait grandi à cette époque et dans cette région de l'Irak, avec mes faiblesses et mes forces. Peut-être que dans dix ans, je le regarderai avec un autre regard différent, mais pour l'instant, ce film, c'est moi. Je pense avoir réussi à créer quelque chose qui se rapproche de ce que j'avais en tête.
Quelles sont vos attentes pour cette sélection à la Quinzaine ?
C'est vraiment un rêve devenu réalité que de présenter le film à la Quinzaine pour sa première mondiale. La Quinzaine des Cinéastes est connue pour défendre et présenter des voix et des films singuliers, audacieux et uniques. C'est l'endroit idéal pour présenter le film. Et c'est encore plus spécial grâce au soutien chaleureux que nous avons reçus de l'équipe de la Quinzaine. Je suis enthousiasmé par la façon dont ils ont perçu le film, d’autant que cela nous permet de présenter le film à un public international dans les meilleures conditions possibles. Jusqu'à présent, le plus grand compliment que j'ai reçu est celui du directeur artistique de la Quinzaine, Julien Rejl, qui a déclaré que le film, les personnages et la narration lui rappelaient Kiarostami. Je le considère comme l'un des plus grands honneurs qui soient.
Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : DR
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