Cinéma

Annecy 2025 – Pour le Spi il est temps d’explorer de nouvelles opportunités

Date de publication : 13/06/2025 - 08:11

Le collège animation du Syndicat de la Production Indépendante, a détaillé à Annecy sa feuille de route pour les mois à venir, dans un contexte de crise et de tensions croissantes.

"Il y a un peu plus de deux semaines à peine, nous quittions la cérémonie du festival de Cannes avec un palmarès tout à fait incroyable pour la création indépendante française avec la quasi-totalité des prix attribués à des adhérents et des adhérentes du Spi" a introduit Sébastien Colin, délégué général du Spi. "Si j'évoque la production indépendante à Cannes, c'est parce que ce sont ces mêmes créations indépendantes qui ont été récompensées ces dernières semaines au César, aux Oscars, à Série Mania et que nous retrouvons aujourd'hui à Annecy dans toutes les sélections. Pour les seuls membres du SPI, ce sont 22 oeuvres sélectionnées cette année d'une grande diversité. Ces productions et évidemment plein d'autres ne sont pas produites par nos adhérents, sont celles qui prennent des risques artistiques, économiques, celles qui se coproduisent avec des partenaires étrangers, celles qui rayonnent à l'international, celles aussi qui attirent du public en salle ou devant les écrans".

Mais à poursuivi Sébastien Colin, "Malgré ces succès indéniables, notre modèle vertueux qui permet l'émergence et la production de ces œuvres est en permanence attaqué et remis en cause. Malgré les récents et nombreux accords signés avec les diffuseurs, malgré la qualité des œuvres produites, malgré nos savoir-faire techniques et artistiques reconnus, malgré les efforts du CNC et de l'Arcom pour accompagner nos filières, nos secteurs sont aujourd'hui fragilisés, en particulier celui de l'animation. Nous n'allons pas vous dresser un bilan ou un état des lieux complet de la crise, mais plutôt vous faire part de notre diagnostic, puis de nos analyses, de nos réflexions, de nos éventuelles solutions pour sortir de cette crise, qu'elle soit conjoncturelle ou davantage structurelle".

"Le lobby des acteurs américains nous inquiète" a enchaîné Sébastien Onomo (Special Touch Studios) président du collège animation du Spi. "Nous sommes par ailleurs dans une phase d'étude et de réflexion autour de la directive SMA qui va précéder une potentielle révision de cette dernière". (Un réaménagement effectivement demandé par la ministre de la culture Rachida Dati ndlr). S’exprimant ensuite sur des problématiques plus nationales, Sébastien Onomo a estimé que "les moyens du CNC doivent être préservés, voire renforcés". "De même, nous appelons de nos voeux la préservation des dispositifs du crédit d'impôt, cinéma et audiovisuel, outils structurants pour notre filière qui ont porté leurs fruits et qui doivent maintenant, plus que jamais, être confortés".
 
DES SUJETS DE PRÉOCCUPATION DIVERS
Principal sujet d’inquiétude du moment, celui lié à l’audiovisuel public. "Les économies qui lui seront demandées vont à l'encontre d'un audiovisuel public fort qui touche tous les publics, et notamment la jeunesse. Jusqu'à présent, France Télévisions a fait le choix de maintenir ses engagements dans les programmes, et nous nous en félicitons". Rappelant que France Télévisions est le premier financeur de l'animation en France "dans un contexte de crise, l'empêcher de poursuivre ses investissements dans la création serait mortifère pour le secteur. les producteurs, les créateurs, les techniciens, mais aussi et en premier lieu pour le public, pour la diversité, des propositions à destination des plus jeunes notamment".

Même préoccupations au sujet de la situation budgétaire au sein des collectivités territoriales. "Certaines ont compris l'intérêt pour la filière locale, pour le rayonnement de leur territoire et pour l'éducation des jeunes générations dans un engagement dans la culture. D'autres, au contraire, n'y voient aucun intérêt". Enfin évoquant un contexte social tendu, le producteur a précisé "on assiste de plus en plus à des cas d'atteintes protéiformes. Le SPI a créé un groupe de travail sur la question afin recenser les cas, accompagner les concernés et travailler en lien avec la haute fonctionnaire à la liberté de la création Juliette Mant nommée fin mars dernier". Autres sujets majeurs, la lutte contre les VHSS et l’écoproduction.

DES ACCORDS STRUCTURANT
Déléguée animation du Spi, Céline Hautier est revenue sur les accords conclus en 2024 et 2025, à commencer par celui avec France Télévisions. Celui de mai 2024 prévoit un engagement à 80 M€ dans le cinéma par an, incluant au 25 films d’animation sur le durée de l’accord. Et dans celui relatif à l’audiovisuel est prévue une augmentation de l’enveloppe dédiée à l’animation passée progressivement à 37 M€, avec 3 M€ réservés annuellement pour le long-métrage d'animation et 3 M€ supplémentaires à répartir sur les trois ans de l'accord.

Et le 6 juin 2025 a été annoncée la conclusion d'un nouvel accord avec TF1 dans la production audiovisuelle qui augmente un peu son apport à 12,57%, avec un engagement envers la production audiovisuelle européenne à hauteur de 6% des obligations. Un autre accord a été conclu avec Apple TV+ en décembre avec une clause de diversité portée à 20% de son obligation dont 12% pour les oeuvres d'animation. Et en fin d’année Crunchyroll, s’est engagé pour trois ans à hauteur de 16% de son chiffre d'affaires par an, avec 75% d'oeuvres inédites dont une clause de diversité pour le documentaire, à hauteur de 2%.

Autre engagement fort, celui avec Disney+ qui court sur trois ans, avec une implication fixée à 25% du CA. Disney+ s'est aussi engagé historiquement dans le cinéma d'animation à hauteur de 8% de son engagement de préfinancement et sur le volet audiovisuel, l’engagement est à 100% dans les oeuvres patrimoniales. Mais en contrepartie, ses fenêtres de diffusion ont été améliorées.

Emmanuel Alain Raynal (Miyu productions), a ensuite fait un point rapide sur les réflexions en cours avec le CNC autour d’un plan long métrage. Le FSA concernant l’animation a ainsi été réaménagé en début d’année afin de répondre aux besoins des professionnels dans ce contexte de crise. Et en mars 2024 le RGA du centre a été modifié, avec notamment une aide au programme de développement passant de deux à trois longs métrages d’animation pour les sociétés de production. Et plusieurs assouplissements ont eu lieu dans le cadre de l’avance sur recettes.

"Dans un deuxième temps nous avons envie de pousser à une vision globale et plus engageante et c'est passé par l'initiative de ces Assises de l’animation que nous portons avec l'AFCA et AnimFrance" a poursuivi le producteur. "Nous les voulons pour créer un temps fort autour des problématiques de la production du cinéma d’animation et que ça soit aussi l'occasion à la fois de faire un tour de table et un constat, mais aussi de pouvoir être force de proposition".

Parmi ce qui pourrait être mis sur la table figure une réflexion poussée sur le développement, problématique qui concerne le cinéma, mais aussi l’audiovisuel à d'autres égards. Concernant la production il convient notamment de redonner toute sa force au crédit d’impôt cinéma et d’adapter les seuils d'intensité des aides publiques pour le long-métrage d'animation, afin que nos oeuvres restent françaises et que nous ne soyons pas obligés d'éclater la production sur plusieurs pays.

Emmanuel-Alain Raynal a fait aussi un point court métrage. "Je pense qu’il est essentiel de comprendre qu'aujourd'hui, les grands cinéastes d'animation sont pour la plupart des réalisateurs de court-métrage. Et donc, aujourd'hui, il y a des sociétés de production, mais aussi des cinéastes qui vivent du court métrage, là où en prise de vue réelle, généralement on fait un court, deux courts et on passe très vite au long. Or on peu de pure players sont aujourd’hui soutenus par l’aide au programme, pourtant essentielle au financement de ces œuvres". Autres pistes en vue, un crédit d’impôt étendu au court-métrage et une adaptation du fonds de soutien audiovisuel pour permettre aux producteurs de l'investir dans des œuvres d'animation.
 
L'INDÉPENDANCE COMME MODÈLE À PRÉSERVER
Virginie Giachino (Doncvoilà Productions) a ensuite détaillé quelques pistes de réflexion. Revenant sur le diagnostic de la crise en cours elle a insisté sur ses "répercussions immédiates et profondes sur l'emploi et la mise en péril de l'écosystème français. Elle touche durement les techniciens et les nouveaux entrants sur le marché et a un impact sur l'emploi de demain également, sur la formation et sur la R&D".

Pour autant, si la filière est fragilisée, paradoxalement la création est très dynamique. Il n'y a jamais eu autant d'oeuvres créatives, à contre-courant des standards habituels considérés comme des succès par l'industrie car elles ne répondent pas attentes classiques du marché. "Et pourtant, c'est précisément en sortant des cadres, en décloisonnant les formats et en osant des nouvelles formes de narration que ces projets ont su toucher le public. Pour nous, le modèle de production indépendante est une des solutions à la sortie de la crise".

"Ce modèle repose pour nous sur différents piliers" a enchaîné Noam Roubah (Darjeeling). Le premier, c'est la diversité des lignes éditoriales et l’innovation des propositions qui débouche sur l’indépendance des contenus. Le deuxième, le plus important, est celui de la souplesse et de l'agilité des structures capables d'absorber les fluctuations du secteur et d'apporter une réponse rapide aux soubresauts et aux aléas de la production. Enfin troisième point : collaboration et cohésion. La complémentarité des points de vue et des compétences renforce in fine les œuvres.

Et Noam Roubah de rappeler "à quel point les politiques publiques ont un rôle à jouer dans la structuration de la filière sur les territoires". Autre point important une relation à préserver avec les auteurs, mais aussi les diffuseurs afin de rester force de proposition. Maintenir un dialogue permanent avec l’ensemble des acteurs de la filière est donc vital.

Raphaël Catheland (Cosmic Productions) a expliqué ensuite que les producteurs étaient face à deux options pour continuer à produire : augmenter les financements ou diminuer les coûts. Mais dans le contexte actuel de réduction des dépenses au niveau national et au niveau local, l’augmentation des financements publics semble illusoire. Même chose au niveau des diffuseurs, les principaux acteurs faisant face à d’importants questionnements budgétaires. Reste la piste de l’international pour mieux financer les oeuvres par des pré-ventes.

Mais si baisser les couts de production s’avère inéluctable, encore faut-il avoir en tête que le coût en personnel étant le poste le plus lourd, ce seront les collaborateurs de production et de création les plus touchés. "C'est une hypothèse que nous excluons car nous voulons maintenir la cohérence sociale du secteur et l'attractivité de la filière" a précisé Raphaël Catheland. Et si la délocalisation peut être tentante, elle débouche irrémédiablement sur un transfert de compétences de la France vers l'étranger et un appauvrissement systémique de la filière animation.

Troisième possibilité pour baisser les coûts, le recours à l'IA. "Celle-ci est en passe de devenir un modèle incontournable, par lequel si nous n’y prenons pas garde, tout va se ressembler, sans compter l'impact écologique dévastateur de la puissance de calcul requise. Heureusement des mesures de régulation sont en marche. Et le recours à l'IA, par exemple, pour simplifier le travail d'animation ou d'assemblage de l'image, constitue une possibilité nouvelle qu’il serait irresponsable à l'exclure".

Quoi qu’il en soit toutes ces hypothèses ne permettront pas de faire face à la crise traversée. Le SPI essaye de trouver des solutions, notamment via des systèmes d'investissement mixtes, entre le public et le privé, qui pourraient prendre la forme de fonds en contrepartie de droits à recettes. Autre piste en vue, s’ouvrir à de nouveaux marchés, créer de nouveaux partenariats.

Emmanuel-Alain Raynal est ainsi revenu sur ses expériences de collaboration avec le Japon. "Un pays compliqué à appréhender, mais qui traverse une crise inverse de la nôtre. Les carnets de commandes des studios sont remplis pour plusieurs années, l’animé japonais est un succès en termes de diffusion et les plateformes et autres diffuseurs sont friands de ces contenus. Il y a donc des opportunités à saisir tant en termes de production exécutive que de partage d'IP. Renforcer cette collaboration avec ce pays pourrait redonner de la souplesse à notre écosystème. D’autant que le Japon a envie de s’ouvrir aux autres et de diversifier ses œuvres".

Sébastien Onomo a conclu la conférence en revenant sur le fait que "cette crise nécessite que les productions s'adaptent tant en termes de contenu que dans la façon de produire. Il appartient aux producteurs indépendants de faire preuve de souplesse, d'audace et d'innovation, qualités qui sont souvent dans l'ADN des producteurs SPI. C'est dans la diversité des créations, la mise en place de synergies avec l’ouverture de nos oeuvres à des moyens de financement plus diversifiés, tout en s'appuyant sur un écosystème puissant et unique qui a été patiemment tissé par les pouvoirs publics et les acteurs du secteur, que nous pourrons tous ensemble faire face aux défis très lourds qui s'imposent".

Patrice Carré
© crédit photo : Patrice Carré


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