Cinéma

Gaëtan Bruel : "L’éducation aux images et la question de la diffusion doivent devenir des priorités absolues"

Date de publication : 23/09/2025 - 13:02

A l'occasion du renouvellement des conventions de partenariat entre l'Etat et les régions dans le domaine animée pour la période 2026-2028, Gaëtan Bruel, président du CNC, a adressé une lettre aux présidentes et présidents de régions pour leur faire part d'une ambition et une coopération renforcées.

Pourquoi cette lettre aux présidents de région arrive-t-elle maintenant ?

En arrivant au CNC, j’ai entrepris un tour de France des régions. Je me suis déjà rendu dans plusieurs capitales régionales pour échanger avec les grands élus, qui sont des partenaires essentiels de la filière. Je souhaite également me rendre dans un maximum de départements. J’étais par exemple fin août en Ardèche, dans le Gard, en Aveyron, dans le Lot et en Dordogne. A chaque fois, je rencontre les acteurs de la filière et les élus. Cette vision du terrain et ces regards croisés sont irremplaçables. Nous faisons face à des défis importants, mais nous avons les moyens d’y répondre, à la condition que l’Etat et les collectivités articulent leur vision et leurs engagements. Le renouvellement des conventions 2026-2028 est un levier majeur pour y arriver. Avec cette lettre, je voulais partager une analyse des défis et proposer une méthode pour y répondre ensemble.

Dans votre lettre, vous insistez sur la place centrale de la diffusion aux côtés de la production. Pourquoi cette priorité aujourd’hui ?

Le soutien à la production reste évidemment indispensable, et le CNC n’enlèvera pas un euro à ce soutien, mais il faut voir que le risque majeur aujourd’hui est sur la diffusion des œuvres. Quand on compare la situation française avec le reste du monde, on se rend bien compte que la baisse de la fréquentation en salle n’est pas seulement conjoncturelle. Les changements rapides dans les usages, vers les plateformes gratuites et les contenus sur smartphones, rendent cette question d’autant plus urgente. Juste avant le rapport d’Edouard Geffray, la direction générale du Trésor a publié le 4 septembre une étude alarmante : notre rapport aux écrans nous coûte déjà 0,6 point de PIB. Cela risque d'être 3 points dans 30 ans si nous n’agissons pas maintenant. Le fait que nous passions toujours plus de temps devant les écrans, mais de moins en moins à découvrir des œuvres, est un enjeu majeur pour nos salles de cinéma, mais c’est aussi un enjeu de santé publique, de productivité économique, de préservation de notre cadre démocratique. Dans ce contexte, l’éducation aux images et plus largement la question de la diffusion – c'est-à-dire aussi le soutien à nos salles – doivent devenir des priorités absolues. Elles doivent faire l’objet d’un consensus national et d’une mobilisation générale.

Comment ces enjeux se traduisent-ils concrètement dans les conventions que vous proposez ?

Je propose quatre grands principes pour répondre à ces enjeux.

Tout d’abord, celui d’un État exemplaire, qui assume son rôle de premier soutien du cinéma et de l’image animée, sur la production comme sur la diffusion. Dans cette optique, nous allons mettre en place avec le ministère un mécanisme permettant de sanctuariser, avec un apport du CNC, les crédits délégués aux DRAC pour l’éducation aux images, pour neutraliser les baisses de l’année en cours et celles qui s’annonçaient pour 2026. On ne peut pas vouloir se donner une ambition nouvelle sur cet enjeu vital, si on ne commence pas par répondre aux difficultés existantes des acteurs, fragilisés par la baisse des financements croisés.

Deuxième principe, celui d’un cadre conventionnel reconduit, dans ses objectifs, ses dispositifs et ses financements, pour donner de la visibilité aux régions et de la stabilité à la filière. Les dispositifs actuels, quand ils sont activés, marchent magnifiquement ! Je pense par exemple aux médiateurs du cinéma, cofinancés par le CNC et plusieurs régions volontaires. Il faut noter ici que les conventions actuelles intégraient déjà la priorité de la diffusion – qui n’était pas toujours partagée par les régions.


Troisième principe, je propose de créer un cadre de partenariat renforcé, pour les régions qui font du cinéma et de l’image animée une véritable priorité, notamment sur la diffusion. Concrètement, les régions qui ne baisseront pas leurs crédits pour la diffusion entre 2025 et 2026 auront accès à ce partenariat renforcé. Elles seront pleinement associées aux réflexions nationales sur l’avenir de notre filière. Elles seront régulièrement mises en valeur. Elles auront accès à des moyens nouveaux du CNC et une clé de cofinancement inédite pour des actions autour de la pratique des images, de 2 euros pour 1 euro, voire 3 euros pour 1 euro (pour les régions qui accepteront de revenir sur une base budgétaire 2024). Jusqu’à présent, nous faisions au mieux du 1 pour 1. Un tel cofinancement est absolument inédit.

Dernier principe, je souhaite associer plus systématiquement les départements, qui sont des partenaires clés mais fragilisés, dans le cadre d’un rôle de coordination renforcé des régions. Je leur proposerai la même démarche qu’aux régions, pour enrayer la baisse des financements et recréer un désir et une fierté de soutenir le cinéma et l’image animée. L’enjeu, c’est la cohérence de notre action à toutes les échelles d’intervention.

Ne craignez-vous pas que ce partenariat renforcé avec des collectivités ne crée une France des régions à deux vitesses, entre celles qui peuvent suivre et celles qui n’en ont pas les moyens ou l'envie ?

Le contexte budgétaire est compliqué pour tout le monde : pour les collectivités comme pour l’Etat. Dans ce contexte, se désengager est toujours un choix, le signe qu’on place ses priorités ailleurs. Il faut le respecter, mais on a aussi le droit de ne pas s’en satisfaire. Avec ce partenariat renforcé, je veux mieux valoriser les régions qui continuent de s’engager, et inciter les autres à se réengager. Parce qu’il n’y a pas d’argent magique, il est d’autant plus important de bien s’entendre. Même avec des moyens contraints, on peut faire de grandes choses. Encore faut-il le vouloir ! L’objectif est de tirer par le haut, d'encourager, sans ostraciser personne. Et d’avoir une attention particulière pour les départements, dont la situation budgétaire est des plus délicates. Cela n’empêche pas de nombreux départements - par exemple l’Ardèche ou la Dordogne – d'avoir maintenu tous les crédits pour Ma classe au cinéma ! C’est bien la preuve que c’est possible.

Vous avez récemment estimé qu'il était possible de revenir au niveau des 200 millions d'entrées en France. Cette politique volontariste avec les collectivités peut-elle y contribuer ?

Cela ne va pas être facile, mais je pense que c’est possible, si on est clairs sur le diagnostic, et résolus sur les solutions. La baisse de la fréquentation est à la fois conjoncturelle et structurelle. Pour le dire autrement, si on compte simplement sur le retour de l’offre, on ne remontera pas à 200 millions. En revanche, si on prend à bras le corps les dysfonctionnements actuels du marché - objet du comité de concertation – qui aggravent l’érosion de la fréquentation, si on engage un travail sérieux sur la perception publique du cinéma, si on convainc la prochaine génération de maires du rôle vital des salles de cinéma pour le lien social et l’animation de leur territoire, si on active à fond le potentiel de l’éducation aux images, oui, je pense qu’on peut remonter à 200 millions d’entrées d’ici quelques années. J'y pense en tout cas tous les matins en arrrivant au CNC !
 
 
 
 

Florian Krieg
© crédit photo : CNC


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