
Gaëtan Bruel : "La filière du cinéma et de l'image animée est au service de la Nation"
Le président du CNC a été auditionné par la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale. L’occasion pour lui de défendre un modèle français « efficace, efficient et vertueux », tout en appelant les élus à le soutenir face aux multiples défis qui s’annoncent.
Dans son propos introductif, Gaëtan Bruel a rappelé les fondements du modèle français, faisant souvent l'objet de visions erronées. " "La réussite du modèle français est rendu possible par un modèle ambitieux et particulièrement vertueux puisqu'il ne coûte pas un euro au contribuable. Il est important de le rappeler le CNC ne relève pas du budget de l'Etat et ne pèse pas sur les finances publiques. Son budget provient de recettes relevées sur le secteur lui-même […] En plus de payer des impôts comme tout le monde, ces entreprises s'acquittent d'une surfiscalité affectée permettant de répondre aux objectifs d'intérêt général dont le CNC est le garant."
Ce mécanisme, a-t-il ajouté, se distingue également par son efficacité. "On entend parfois que l'argent des Français financerait trop de films qui n'existerait pas sans ces apports. C'est doublement faux. Il ne s'agit donc pas de l'argent du contribuable et la part du financement public moyen par film s'établit à 20% en France. En Europe, cette part s'élève à 48%."
"Avec le soutien de notre représentation nationale, ce modèle efficace, efficient et vertueux est notre meilleure arme face aux défis inédits qui guettent notre pays dans le domaine du cinéma et de l'image animée", souligne Gaëtan Bruel qui met en exergue quatre enjeux.
Quatre grands défis pour la filière
Tout d'abord, le président du CNC relève "notre rapport de plus en plus problématique aux écrans" devenu "un problème démocratique, d'appauvrissement culturel, de santé publique et de productivité économique." Pour répondre à cet enjeu, le dirigeant appelle notamment Ies députés à s’emparer des préconisations du rapport Geffray sur l’éducation à l’image,
Ce basculement dans les pratiques a aussi des effets économiques importants avec la baisse des audiences linéaires et de la fréquentation cinématographique. L'impact est également notable pour les plateformes. Ces dernières subissent la concurrence croissante des services gratuits, la recrudescence du piratage via l’IPTV et l’irruption de l’intelligence artificielle."accélérant les mouvements vers des contenus standardisés, massifiés et manipulés." "L'ensemble des modèles de création premium sont aujourd'hui challengés voire menacés par des modèles low cost venus de l'étranger et dopés à l'IA", assène Gaëtan Bruel.
Avec ces tensions économiques, il y a un vrai risque de voir des pans entiers de l'écosystème sinistrés, estime le président. La production subit notamment les baisses de financement des diffuseurs. "Le ciblage des baisses de financement de France Télévisions me semble très préoccupant. L'audiovisuel public est un acteur essentiel et irremplaçable de la création", ajoute le président. Le réseau des salles n’est pas épargné. Plusieurs dizaines de cinémas sont aujourd’hui dans une situation critique, et les distributeurs subissent eux aussi un contexte économique tendu. Bruel a appelé à « ne pas attendre que des salles ferment dans nos territoires » pour relancer la fréquentation. Il plaide notamment pour un meilleur soutien à la diffusion, devant "être mieux intégré à notre modèle".
Le dernier défi consiste à tenir le rang de la France dans une compétition mondiale exacerbée. Le président du CNC estime que la régulation nationale est de plus en plus contestée, y compris devant les tribunaux, par des acteurs cherchant à en réduire la portée. « Il faut cesser d’être naïf et défendre centimètre par centimètre notre souveraineté culturelle », a-t-il lancé. Sur le plan offensif, la France doit aussi rester attractive. "Si nous voulons continuer d'attirer des tournages, source de retombées économiques directes et importantes, il faut reconnaitre que notre crédit d'impôt international est en train de se faire distancer. 16 pays européens ont aujourd'hui un modèle au moins aussi attractif que le nôtre." Le CNC appelle ici à une prorogation du crédit d'impôt international.
Un appel aux élus
Enfin, Gaëtan Bruel a insisté sur le rôle des collectivités et des parlementaires. Il a souligné que 480 cinémas sont aujourd’hui sous régime municipal, souvent situés dans des territoires où l’accès à la culture devient fragile. Les prochaines échéances électorales constituent selon lui « une échéance vitale » pour préserver ce maillage territorial unique.
Le président du CNC a également rappelé l’importance de politiques régionales proactives en matière de diffusion t d’un consensus local autour du rôle des exploitants. Il a invité les députés à jouer pleinement leur rôle dans l’évaluation et l’orientation des politiques publiques conduites par le CNC, notamment en matière de crédit d’impôt.
Mais il a aussi mis en garde : certains signaux montrent selon lui une remise en cause de ce consensus historique. « Si nous avançons un jour dans le sens d’un plafonnement des taxes du CNC, nous tuerons à l’instant un modèle exceptionnellement efficace, efficient et vertueux. Il faut prendre garde à ne pas abîmer ce qui marche », a-t-il averti.
En conclusion, Gaëtan Bruel a rappelé la dimension nationale des enjeux qui traversent aujourd’hui le cinéma et l’audiovisuel : « La filière du cinéma et de l’image animée est au service de la nation. Comment changer notre rapport aux écrans et donner à nos jeunes une vraie éducation à l’image ? Comment rester souverain dans les œuvres que nous produisons et celles que nous regardons ? Comment préserver l’une des grandes richesses de notre pays, son aménagement cinématographique, à l’instant où il est fragilisé ? Comment tenir notre rang mondial ? Ces défis ne sont pas seulement ceux de la filière : ce sont les défis de notre pays. »
Trop de films en France ?
S’appuyant sur le rapport de la Cour des comptes, Alexandre Portier, président de la commission des affaires culturelles, a interrogé Gaëtan Bruel sur la question de la surproduction.
« Nous ne pouvons aborder cet enjeu qu’a posteriori. C’est une économie de prototype : impossible de prédire à l’avance ce qui va fonctionner », rappelle ce dernier. « Et la qualité ou l’intérêt d’un film ne se mesure pas uniquement à son nombre d’entrées », souligne-t-il en évoquant notamment les documentaires.
Selon lui, le véritable enjeu réside aujourd’hui dans une transformation des dynamiques de succès en salles depuis la pandémie. « Pour des raisons qui ne tiennent pas d’abord aux œuvres elles-mêmes, le succès d’un film est moins progressif, le bouche-à-oreille plus difficile et le marché des salles se reconfigure. »
Pour répondre à ce défi, il plaide pour mobiliser plusieurs leviers : éducation à l’image, soutien accru aux salles via les médiateurs et renforcement du dialogue entre distributeurs et exploitants afin que la diversité des films puisse rencontrer une diversité de publics.
Prélèvement de 50 M€ sur les ressources du CNC en 2026 : "L’expression de la solidarité de notre secteur à l’égard de l’État, compte tenu de la gravité des finances publiques"
Le député du Rassemblement National Thierry Perez a assuré que son groupe « ne plaidait évidemment pas pour la suppression du CNC, un outil précieux au service du cinéma français ». Il a interrogé Gaëtan Bruel sur une éventuelle baisse de la taxe sur les billets de cinéma.
Le président du CNC a tenu à « lever un fantasme sur l’abondance » de ses ressources : « Sur dix ans, le produit de nos taxes a progressé moins vite que l’inflation et que les coûts du secteur. La part des soutiens du CNC diminue, contrairement à la trajectoire des dépenses publiques, alors même que les défis s’accroissent. »
Concernant le prélèvement de 50 M€ prévu dans le PLF 2026 — s’ajoutant aux 500 M€ déjà ponctionnés en 2025 —, Gaëtan Bruel a défendu cette contribution : « C’est l’expression de la solidarité de notre secteur à l’égard de l’État, compte tenu de la gravité des finances publiques. Mais pendant que certains exploitants menacent de fermer, le plan d’action que nous proposons ne prévoit même pas 200 000 € supplémentaires pour eux. Nous faisons avec les moyens du bord, en essayant d’être vertueux et responsables. »
Canal+ - UGC : "Une excellente nouvelle à ce stade"
Interrogée par la députée de la France Insoumise Sarah Legrain et administratrice du CNC sur les négociations exclusives entre Canal+ et UGC en vue d'une entrée au capital du premier dans le second, Gaëtan Bruel a estimé qu'il s'agissait "d'une excellente nouvelle à ce stade."
"Dans un contexte de difficultés rencontrées par l'exploitation dont UGC, un fleuron national, il y avait un enjeu à ce que le groupe ait les moyens de répondre à une situation économique difficile. L'engagement de Canal+ aux côtés d'UGC est la confirmation d'un acte de foi dans la salle de cinéma comme l'engagement de Rodolphe Saadé au sein de Pathé. C'est par ailleurs la confirmation du lien durable, profond et premier de Canal+ avec le cinéma français."
Florian Krieg
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