Cinéma

Lumière 2025 - [Portrait] Michael Mann dans la lumière

Date de publication : 17/10/2025 - 08:03

Lauréat du prix Lumière 2025 remis ce vendredi soir dans le cadre de la cérémonie dédiée, le réalisateur américain s’est illustré dans le registre du thriller, tout en signant des œuvres mémorables.

Né pendant les derniers jours de la bataille de Guadalcanal dans un quartier populaire de Chicago où ses parents tenaient une épicerie, Michael Mann entreprend des études de lettres dans l’objectif de mener une carrière universitaire, puis se ravise en s’orientant vers un art dont il ignore alors à peu près tout : le cinéma.

Tandis qu’il découvre l’École soviétique et l’expressionnisme allemand, la sortie de Docteur Folamour (1964) de Stanley Kubrick suscite un déclic en lui. Rebuté par les cursus proposés par UCLA, USC et NYU, il part pour l’Europe en 1965 où il intègre la London Film School avant de se lancer dans la publicité. Ses compagnons de route se nomment alors Ridley Scott, Alan Parker et Adrian Lyne.

Il débarque en mai 1968 à Paris, où il interviewe Daniel Cohn-Bendit et Alain Krivine pour le documentaire Insurrection, diffusé sur la chaîne NBC dans le cadre de l’émission de reportages First Tuesday, puis livre ses impressions personnelles dans un court métrage de 8’ intitulé Jaunpuri, qui remporte le prix du jury au Festival de Cannes en 1970.

Il enchaîne l’année suivante avec un documentaire de 37’en forme de road-movie de la côte Est à la côte Ouest des États-Unis, 17 Days Down the Line, diffusé sur la chaîne ABC, puis accomplit une lente transition vers la fiction sous l’égide de ses deux mentors : le producteur Robert Lewin (1920-2004), qui jouit d’une réputation enviable dans le domaine de la série télévisée, et Liam O’Brien, le frère cadet du comédien Edmund O’Brien. C’est grâce au premier d’entre eux qu’il signe les deux premières saisons de Starsky et Hutch et des épisodes de Vega$ qu’il initie et réalise.

Premiers feux d’homme libre
Son destin bascule grâce au téléfilm Comme un homme libre (1979), tourné dans la prison d’État de Folsom en Californie où a déjà été filmé Le récidiviste (1978) qu’il a coécrit et qu’avait commencé à réaliser Dustin Hoffman avant de jeter l’éponge au profit d’Ulu Grosbard. Le succès d’audience de son coup d’essai vaut au réalisateur plus d’une vingtaine de propositions de films dans les trois jours qui suivent sa diffusion.

En France, auréolé de sa présentation au Festival du cinéma américain de Deauville, il sort dans les salles le 6 mai 1981, tout juste dix jours avant la présentation au Festival de Cannes de son premier film de cinéma, Le solitaire, dominé par la composition de James Caan en voleur de bijoux. Le réalisateur y excelle dans le registre du thriller.
 
Il s’attelle alors à un film fantastique, La forteresse noire (1983), qui essuie un cuisant échec et dont Michael Mann récuse le montage final. Il faudra attendre ensuite… mai 2025 pour que le film sorte enfin en 4K dans une version approuvée par son réalisateur, devenu entretemps un géant du cinéma américain.

En 1986, le réalisateur signe Le sixième sens (Manhunter), d’après le roman Dragon rouge, qui constitue la première adaptation cinématographique de la tétralogie de Thomas Harris mettant en scène le tueur cannibale Hannibal Lektor, qu’Anthony Hopkins immortalisera sous le nom d’Hannibal Lecter dans Le silence des agneaux (1991) de Jonathan Demme, et trois autres films dont le remake Dragon rouge (2002) signé par Brett Ratner. Lauréat du prix de la critique au Festival du film policier de Cognac 1987, Michael Mann y démontre sa virtuosité en reprenant un projet proposé initialement à David Lynch. C’est toutefois son deuxième échec commercial successif.

La fiction TV comme refuge
Grâce aux louanges consécutives à la série à succès Deux flics à Miami dont il a été le producteur délégué des cinq saisons de 1984 à 1989, il se replie vers le petit écran pour lequel il produit les deux saisons des Incorruptibles de Chicago (1986-1988), dont Abel Ferrara signe le pilote et dont il tourne lui-même un épisode, puis le téléfilm L.A. Takedown (1989), qui lui inspirera par la suite un remake cinématographique quatre étoiles… Heat.
 
Suivent les miniséries Cartel, les guerres de la drogue (1990), couronnée d’un Primetime Award, et La guerre des drogues II : le cartel de la cocaïne (1992) dont il ira jusqu’à reprendre certains éléments dans sa version cinématographique de Miami Vice - Deux flics à Miami (2005). Preuve que chez l’Américain, rien ne se perd, rien ne se crée, mais tout se transforme pour le meilleur.

Pour son retour au grand écran, le réalisateur change radicalement de registre en signant Le dernier des Mohicans (1992), la neuvième adaptation du classique de James Fenimore Cooper avec Daniel Day-Lewis dans le rôle-titre et… Patrice Chéreau dans celui de Montcalm. Produit pour 40 M$, le film en rapporte 143 M$ dans le monde, et lui vaut d’obtenir désormais les moyens de ses ambitions.

Rebelote avec Heat (1995), classique instantané produit pour 60 M$ qui encaisse une recette dépassant 187 M$, avec en guise de point d’orgue six minutes de confrontation entre Robert De Niro et Al Pacino (au bout d’une heure et demie de film !), 21 ans après avoir campé Vito et Michael Corleone dans Le parrain 2 de Francis Ford Coppola.
 
A la veille du troisième millénaire, Michael Mann s’attaque, avec Révélations (1999), à l’histoire vraie du médecin et lanceur d’alerte Jeffrey Wigand qui a dénoncé les pratiques illicites de l’industrie du tabac avec le soutien du journaliste Lowell Bergman, et en confie les rôles principaux à Russell Crowe et Al Pacino. Malgré sept nominations aux Oscars, le film n’en décroche aucun.

Deux ans plus tard, le réalisateur s’attelle à un projet qui a tout pour plaire, puisqu’il s’agit du biopic du boxeur Mohamed Ali, dont le très populaire Will Smith tient le rôle principal avec l’espoir d’être enfin reconnu par ses pairs. Las, Ali (2002) essuie un échec commercial sévère et lui vaudra d’attendre une vingtaine d’années de plus le Saint-Graal.

Collatéral, plus gros succès commercial
Après avoir assuré les fonctions de producteur sur les 13 épisodes de la première série hebdomadaire tournée en haute définition, Robbery Homicide Division (2002), Michael Mann hérite d’un projet vers lequel l’a orienté Russell Crowe avant de jeter lui-même l’éponge. Collatéral (2004) lui permet de renouer avec son genre de prédilection, le thriller, et de tâter du numérique en suivant un chauffeur de taxi incarné par Jamie Foxx et un tueur à gages campé par Tom Cruise dans la nuit de Los Angeles. C’est le plus gros succès de sa carrière avec environ 220 M$ de recettes mondiales – pour 65 M$ de budget.

La décennie est aussi pour lui l’occasion d’intensifier son activité de producteur avec Aviator (2004) de Martin Scorsese, qui lui vaut un Bafta, Le royaume (2007) et Hancock (2008) de Peter Berg. Après avoir transposé Miami Vice - Deux flics à Miami du petit au grand écran, le réalisateur revient au film noir avec Public Enemies (2009) qui rapporte 214 M$ pour un investissement de 100 M$. Il évoque là le destin du gangster John Dillinger traqué par le FBI dans le Chicago des années 1930, qu’incarne Johnny Depp face à Christian Bale et Marion Cotillard.
 
Michael Mann entreprend alors de produire Killing Fields (2011), le premier long métrage de sa fille Ami Canaan Mann, qu’il avait engagée dès 1987 comme assistante-décoratrice sur la série Les incorruptibles de Chicago. Retour à la télévision en tant que producteur de la série Luck (2011), interprétée par Dustin Hoffman, qui se déroule dans l’univers des courses hippiques mais voit sa première saison écourtée, puis de Tokyo Vice (2022) dont il signe lui-même les pilotes, mais aussi de la minisérie documentaire Witness (2012).

Il revient au cinéma avec Hacker (2015), un film sur la cybercriminalité de 70 M$ qui en rapporte 17 M$, et incite Mann à faire amende honorable en remontant une director’s cut. Il a travaillé depuis sur deux films consacrés à la course automobile : Le Mans 66 (2019) de James Mangold qu’il a coproduit, et Ferrari (2023) qu’il a réalisé pour le compte de Prime Video.

Avec aujourd’hui un projet qui bouclerait la boucle de sa brillante carrière : l’adaptation du roman qu’il a publié en 2023 avec Meg Gardiner, Heat 2, présenté à la fois comme un préquel et un sequel de son film le plus emblématique. Et il a comme option un projet plus lointain, consacré aux relations des mafieux de la Cosa Nostra de Chicago, Tony Accardo et Sam Giancana, dans l’après-guerre. Il faut noter que si Michael Mann a toujours été snobé par les Oscars – comme beaucoup de géants du cinéma avant lui, dont Alfred Hitchcock –, il a quand même occupé les fonctions de président du jury de la Mostra de Venise, en 2012.

Souvent loué pour son style, il a un jour déclaré dans The Guardian : "Mon point de vue est que le public est un groupe humain assis dans une salle obscure où le moindre détail s’avère de nature à affecter la façon dont les spectateurs ressentent et perçoivent le film. Or, le style ne vous donne que sept minutes d’attention."

Filmographie sélective :
1979 Comme un homme libre (unitaire TV)
1981 Le solitaire
1983 La forteresse noire
1986 Le sixième sens (Manhunter)
1992 Le dernier des Mohicans
1995 Heat
1999 Révélations
2002 Ali
2004 Collatéral
2005 Miami vice - Deux flics à Miami
2009 Public Enemies
2015 Hacker
2023 Ferrari
2026 Heat 2

Jean-Philippe Guérand
© crédit photo : Lumière - O. Chassignole


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