Cinéma

Congrès FNCF 2020 - Victor Hadida : "Toutes les entreprises de l’édition et distribution souffrent"

Date de publication : 24/09/2020 - 08:17

Alors que s’ouvre la 25e édition de la Journée des éditeurs de films, entretien (réalisé avant les annonces de la Ministre de la Culture) avec le président de la FNEF, coorganisatrice avec la FNCF de la journée, pour prendre le pouls du secteur dans ce contexte de crise, et creuser quelques pistes de réflexion pour dégager l’avenir.

Quel regard général portez-vous sur le marché depuis la réouverture des salles le 22 juin ?
Les résultats ont été en cohérence avec l’offre. Film par film, on observe de bonnes performances des œuvres à l’affiche. Ainsi, certaines semaines d’août, les films français ont cumulé plus d’entrées que la même semaine de 2019. Nous avons cette chance, en France, que les films français représentent environ 40% du marché, ce qui permet de mieux résister que dans les autres pays. Il faut saluer aussi les éditeurs de films étrangers de type art et essai, qui ont alimenté malgré les risques très élevés l’offre de films cet été, à un moment où le marché n’offrait aucune visibilité. Mais une partie du public reste absent. Il est impossible de retrouver la pleine dynamique du marché sans les films américains qui drainent habituellement la moitié du public, et jouent un rôle de locomotive sur la fréquentation.

Plus que jamais, il est évident que la diversité de l’offre est nécessaire, dans toutes ses composantes, du film le plus pointu au blockbuster. Notre marché – et ce -faisant notre système de soutien – ne fonctionnent que dans la cohésion de l’ensemble de l’offre. Le marché souffre sans les grandes locomotives, cette crise en fait la démonstration. Les films français et art et essai ont bénéficié d’une exposition bien meilleure cet été, mais on observe que cela n’est pas suffisant.

Dans quel état (économique, social, moral…) se trouvent les éditeurs de films trois mois après la réouverture du marché ?
Toutes les entreprises de l’édition souffrent, les conséquences de la crise sont extrêmement lourdes et nous n’avons pas fini d’en mesurer l’impact structurel. Le secteur de l’édition-distribution a également le sentiment de n’être pas suffisamment identifié ou soutenu par les décideurs publics, alors qu’il est un rouage essentiel de la filière, particulièrement exposé au risque.

L’offre estivale moins importante a entraîné une augmentation considérable des combinaisons sur de nombreux films, était-ce bénéfique ou non pour les films ? Cela a-t-il rattraper les contraintes imposées par les limitations en salle (nombre de séances limitées, capacités réduites…) ?
En effet, l’accès à un plus grand nombre d’écrans a permis jusqu’à un certain point de compenser les restrictions, de même que les durées d’exploitation plus longues. Mais un problème de fréquentation perdure. Le manque de blockbusters a aussi paradoxalement réduit le nombre de séances effectuées, réduisant par là même la possibilité d’exposer à d’autres moments les films les plus exigeants.

La désertion d’une grande partie des films de studios américains et de plusieurs autres films attendus cet été a été publiquement critiqué par l’exploitation, que ce soit au niveau fédéral dans la presse ou au niveau individuel dans les réseaux sociaux, pendant plusieurs semaines cet été. Comment accueillez-vous cette critique ?
Désertion est un mot fort. Il faut souligner combien les circonstances sont inédites. Toutes les entreprises du secteur, quelles qu’elles soient, ont de grandes difficultés, chacune essaie de traverser cette crise au mieux. Depuis la réouverture des salles, le risque financier pris par les distributeurs est décuplé. Ce risque n’est pas toujours surmontable pour des distributeurs qui connaissent déjà une situation financière extrêmement dégradée et alarmante sur leur pérennité. Certains, y compris Français, ont été amenés à reporter les sorties parce que les conditions n’étaient pas réunies pour rendre l’équation soutenable. D’autres ont tenu, et les mesures mises en place par le CNC durant l’été ont certainement joué un rôle sécurisant, bien qu’annoncées tardivement.

En outre, les studios américains sont un cas particulier : leurs films ne dépendent pas que du marché français, mais de la situation aux Etats-Unis, en Chine… pour eux, l’équation économique à résoudre est mondiale, avec un marketing mondial et un risque extrêmement élevé de piratage. Warner a pris des risques financiers énormes avec Tenet, avec le soutien de son réalisateur. Pour évoquer le cas de Mulan, il est un peu unique de par son équation économique, c’est pour l’instant le seul que Disney ne sort pas en salles, et j’espère qu’il sera le seul. Il faut raison garder et prendre en compte l’ensemble d’un line-up pour évaluer les intentions de chacun. De la même manière, je comprends tout à fait la décision économique d’un distributeur indépendant comme Le Pacte sur le film Pinocchio. Cela change-t-il son attachement au cinéma ? Je ne le crois pas.

Je rappelle pour clôturer cette question que les studios contribuent fortement au fonds de soutien par les entrées qu’ils génèrent chaque année – de l’ordre de plusieurs dizaines de millions d’euros en 2019 - et que notre écosystème a besoin de ces apports. Cette crise n’a fait que démontrer de manière encore plus flagrante l’interdépendance de l’ensemble des acteurs de notre filière.

Avec le recul, comment jugez-vous l’opération de communication d’envergure (six semaines de campagnes, spots TV, Web et en salle, affichage national, des millions de contacts…) qui fut orchestrée à l’initiative de la FNCF dès l’ouverture des cinémas ? A-t-elle été efficace ?
Les éditeurs avaient appelé cette campagne de leurs vœux, la FNCF l’a lancée de façon autonome avec comme résultat une très bonne couverture médias. On peut penser qu’elle a aidé au redémarrage après le 22 juin, il faut en remercier la FNCF et les médias qui se sont engagés dans cette campagne. J’aurais souhaité que cette campagne soit aussi relancée à l’automne pour soutenir la fréquentation qui devrait redémarrer, comme il en était question à l’origine du dispositif. Mais on ne peut pas toute attendre d’une campagne institutionnelle : l’offre de films reste cruciale pour faire revenir le public en salles. Le public ne vient pas en salles pour apprécier la qualité des fauteuils mais la qualité des films qu’il voit sur le grand écran.

La fin août a enregistré un regain de fréquentation lié aux sorties de plusieurs titres grands publics attendus, et notamment au retour en salle d’un public plus occasionnel qui faisait défaut depuis le 22 juin. Au regard du semestre qui s’annonce, sera-t-il possible de pérenniser cette dynamique favorable ?
Oui, on peut l’espérer car beaucoup de films français à fort potentiel sont annoncés, de même que des blockbusters américains. Cela devrait dynamiser la fréquentation et amener le public vers d’autres films. Il est en tout cas essentiel que des films diversifiés, attractifs, continuent de sortir régulièrement.  Notre marché est un marché de l’offre, mais qui nécessite stabilité et visibilité pour maintenir son attractivité, fidéliser le public et lui faire conserver ses habitudes de cinéma.

Quelles sont vos attentes en ce qui concerne le plan de relance annoncé par le gouvernement ?
Nous appelons les pouvoirs publics à une prise de conscience : la distribution de films est un maillon-clé pour l’ensemble de la filière du cinéma, sans lequel la relance n’est pas possible. Roselyne Bachelot pourrait être la ministre de la diffusion des œuvres : nous espérons d’elle un engagement résolu sur ce terrain, pour des raisons tant culturelles qu’économiques.

Pour l’heure, les mesures en faveur de l’édition-distribution nous semblent très en-deçà des enjeux : nous traversons une crise sans précédent, dans une période de profonde mutation technologique. Nous espérons que le gouvernement prendra la mesure de ce moment historique, où une industrie entière peut basculer. Pour que le marché reprenne, il faut une offre régulière de films, diversifiée, et attractive pour tous les publics. Dans l’intérêt de l’ensemble de la filière, il faut notamment aider les éditeurs-distributeurs à trouver un équation économique soutenable lorsqu’ils prennent le risque de sortir des films. Et il faut viser toutes les filmographiques, tous les types d’entreprises sans exclusive.

Parmi les propositions formulées auprès des pouvoirs publics par la FNEF avec le soutien d’une grande partie de la filière, demeure le crédit d’impôts distribution, abandonné par le gouvernement dans la loi de finance cet été sous prétexte qu’il ne s’agissait pas d’une mesure d’urgence mais de relance. Alors que l’on se situe désormais dans une dynamique de relance du marché, allez-vous remettre le sujet au cœur des discussions et pensez-vous qu’il puisse être approuvé ?
Nous porterons une demande de crédit d’impôt en faveur des éditeurs de cinéma dans le cadre de la prochaine loi de finances. Cette demande a été soutenue par de nombreux députés, de différents partis, lors du dernier débat à l’Assemblée nationale. Nous comprenons mal pour quelle raison le gouvernement l’écarte alors que les crédits d’impôts sont une mesure privilégiée pour les diffuseurs, le spectacle vivant … nous en appelons à la Ministre, pour qu’elle nous soutienne sur ce point.

Ce crédit d’impôt porterait sur les dépenses d’édition et de communication dans des médias localisés en France, sans distinction de genres, de cinématographes ni de taille d’entreprises. Ce dispositif bénéficierait également, in fine : à l’ensemble de fournisseurs (qui sont souvent des entreprises indépendantes ou des petites structures) ; aux médias localisés en France ; à l’exploitation qui retrouverait une offre plus abondante, afin de lui permettre de générer ses propres recettes et d’atteindre une rentabilité pour sa propre survie.

Quelles autres mesures de relance seraient prioritaires pour votre secteur ?
Les mesures mises en place cet été par le CNC (majoration du soutien généré mais aussi soutien aux films non agréés) ont été utiles et heureusement avaient été anticipées par certains distributeurs qui ont accepté de multiplier leur risque en jouant le jeu de l’offre. Elles sont arrivées tardivement mais doivent encore jouer un rôle en cette période encore compliquée, à condition de les pérenniser et de ne pas oublier de soutenir les films non agréés portées par des entreprises qui contribuent à la diversité.

Quels sont, selon vous les grands enjeux du marché pour la fin d’année ? Et pour l’exercice 2021 ?
Que des films continuent de sortir régulièrement, pour tous les publics. Et en amont, que les tournages reprennent leur rythme, pour que nous ayons une offre attractive en 2021. Il est aussi aberrant qu’une augmentation du crédit d’impôt production extrêmement vertueux ne soit pas prévue dans les mesures de relance.

L’une des conséquences directes de la crise sanitaire pourrait être la pérennisation de certains dispositifs ou protocoles au point de changer structurellement l’exploitation mais aussi l’édition de films : selon vous, dans les secteurs de la filière qui vous concernent, pourra-t-on retrouver "le monde d’avant" la Covid-19 ou risque-t-on de devoir changer de modèle ?
Il est probable qu’on ne retrouve pas tout à fait la situation antérieure car le monde d’avant n’existait déjà plus avant la crise, il était déjà en train de changer. La crise sanitaire a précipité les choses. Pour autant, le cinéma en salle reste une expérience particulière, chère aux Français, il peut coexister avec l’offre des plateformes dans le cadre d’une nouvelle chronologie des médias et d’une transposition fine de la directive SMA. Il faut trouver les bons points d’équilibre pour que la France soit attractive pour les plateformes, tout en préservant nos partenaires historiques et en conservant les fondamentaux d’un écosystème juridique qui fait, ô combien, ses preuves. Notre pays est cinéphile et cela reste notre plus gros atout pour attirer les nouveaux acteurs et pour dépasser la crise.

Propos recueillis par Sylvain Devarieux
© crédit photo : DR


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