Cinéma

Annecy 2021 - Marcel Jean : "Une sélection qui prend le pouls de nos sociétés"

Date de publication : 15/06/2021 - 08:20

Le délégué artistique du festival fait le point sur une édition dans laquelle l’Asie se taille la part du lion, beaucoup de cinéastes s’emparant de questions géopolitiques.

La crise sanitaire a-t-elle eu des effets quelconques sur le travail du comité de sélection ?
En préambule il me parait important de dire que nous découvrons rarement les films ensemble. Nous les visionnons en général chacun de notre côté. Par contre le débat, la discussion, tout ce qui mène à la sélection finale a lieu au cours de délibérations qui durent plusieurs jours. C’est ce que nous avons a dû tenir à distance et cela a été un défi. La conséquence est une concentration des discussions. Avec le plaisir d’être ensemble, vient le plaisir de débattre, de discuter et même de digresser. Mais quand on se retrouve en ligne on a tendance à aller droit au but car personne ne tient à éterniser ces séances de visio-conférence. Donc oui quelque chose s’est perdu dans la nature des échanges. Mais au final je ne crois pas que le résultat en soit affecté car nous avons travaillé dans le même esprit.

Autant de films ont-ils été proposés malgré la pandémie ?
En court métrage, en télé et en films de fin d’études, il n’y pas vraiment de différences. Nous avons eu un peu moins de longs métrages proposés par rapport aux dernières années. Mais la qualité est là. Sachant que nous aurions moins de cases horaires disponibles en raison des contraintes sanitaires, je m’étais engagé auprès de mes collègues à une certaine rationalisation cette année en ne sélectionnant que huit longs métrages en compétition officielle et huit pour Contrechamp. Mais comme j’adore me contredire moi-même, puisque cela témoigne de mon indépendance d’esprit, nous avons fini à 10 longs métrages en compétition et 9 à Contrechamp. C’est une sélection lourde, quantitativement et qualitativement, d’autant qu’un ajout sera vraisemblablement fait dans les prochains jours. (La Traversée de Florence Miailhe et Lion Dance Boy, de Hamilton S, ont en effet rejoint la compétition le 9 juin, soit après la réalisation de cet entretien, portant le total à 12 films, ndlr)

Des thématiques globales se distinguent-elles au sein de cette sélection ?
Les choses sont souvent différentes d’une section à l’autre. On remarque dans le long métrage que la géopolitique est une tendance lourde toujours très présente. Elle est présente depuis quelques années déjà dans l’animation, comme en témoignent Valse avec Bachir ou Persépolis. Ou dans des films ayant marqué plus récemment Annecy comme The Breadwinner ou le film de Denis Do, Funan qui est reparti avec le Cristal. Cette tendance d’une animation, qui aborde ainsi l’ensemble des questions géopolitiques qui nous interpellent aujourd’hui, est très forte cette année dans la sélection. Elle se marie aussi avec une très forte montée de l’animation asiatique. Beaucoup de longs métrages nous ont été soumis de pays qui sont traditionnellement de gros producteurs de qualité, comme le Japon, la Corée et la Chine. Mais s’y ajoute un long métrage philippin tout à fait étonnant, l’une des très belles surprises de la sélection, et un film taïwanais. Et on constate à quel point l’animation chinoise, que l’on voyait déjà venir, est devenue un joueur avec lequel il faut absolument compter.

La section Contrechamp propose-t-elle des œuvres avec des engagements plus marqués ?
C’est la section que nous avons créée pour nous permettre d’aller vers des œuvres qui étaient peut-être un peu plus fragiles et qui demandaient un plus fort des spectateurs en quelques sortes. On y voit notamment une tendance aussi de films très indépendants, réalisés par des artistes qui travaillent seuls et arrivent, à force de détermination et de talent à signer des longs métrages. Le premier film primé dans la section Contrechamp en 2019 était Away de Gints Zilbalodis, porté à bout de bras par ce jeune réalisateur. Et cette année on a d’autres exemples de ce type de démarches. C’est parfois le fait de réalisateurs plus jeunes ou d’autres plus expérimentés, comme Pierre Hébert qui nous présente Le Mont Fuji vu d’un train en marche. Pierre est un vétéran du cinéma d’animation qui a du faire son premier festival d’Annecy il y a plus de 40 ans. Dans son cas, c’est vraiment le grand mashup du documentaire, une approche post-moderne des arts avec de la danse, du cinéma expérimental. Et puis nous remarquons cette année la présence de deux longs métrages brésiliens, ce qui est extrêmement positif quand on connait le contexte de production au Brésil. Bob Spit - We do not like people de Cesar Cabral est un film que nous avions déjà à l’œil l’an dernier. Nous l’avions sélectionné pour 2020, mais il avait dû déclarer forfait, car comme il était en stop motion, le début de la pandémie avait provoqué l’interruption complète du tournage. Il y a aussi un jeune cinéaste, Félix Dufour-Laperrière, que nous suivons, qui se retrouve à nouveau en section Contrechamp avec son 2e long métrage. Son film Archipel est vraiment une œuvre poétique, visuellement somptueuse, qui m’évoque Chris Marker dans l’esprit, cette liberté d’aborder le cinéma comme un espace de création sorti des formats. Nous présentons aussi des œuvres très audacieuses, comme Climbing de Kim Hye-mi, film coréen, dans lequel évolue un personnage obsédé par la performance et qui a des troubles alimentaires. Un film intriguant et complexe, qui nous a même effrayés par moments, réalisé par une femme. C’est dans la lignée de ce que nous avons déjà eu en provenance de Corée au cours des dernières années.

Vous disiez qu’il y beaucoup de réalisatrices françaises en compétition court métrage. Une arrivée en force ?
Nous suivons les cinéastes qui passent du court au long, comme Jérémy Clapin, Claude Barras et cette année Florence Miailhe. Mais d’autres leur emboitent le pas. On connait la qualité des écoles françaises. La France est sans doute le pays où les formations sont les plus riches et les plus diversifiées en animation. Depuis que j’ai accepté cette mission à Annecy, pour le festival de 2013, nous avons toujours remarqué, dans la compétition de films de fin d’études, une prédominance des jeunes réalisatrices. Elles étaient autour de 60%. C’est la vérité du nombre. On voit cette tendance se confirmer cette année avec l’arrivée de jeunes réalisatrices en compétition court métrage, comme Marine Blin, Kajika Aki Ferrazzini, Jeanne Apergis, Claire Sichez. C’est un véritable renouveau, parce qu’elles sont aussi porteuses de thématiques, de sujets et de questions. C’est une époque qui voit s’opérer un vrai tournant.

Comment a été décidé ce focus sur l’animation africaine ?
La décision remonte à début 2019. Nous avons toujours été à l’écoute des cinématographies émergentes et des évolutions dans le monde de l’animation. Au travers des dispositifs comme Animation du monde au Mifa, où la création de la section Perspectives dans la sélection d’Annecy, nous avions remarqué une effervescence du côté de l’animation africaine. Nous avons donc fait ce choix qui s’est trouvé être en synchronie avec ce projet de l’Institut Français, d’une Saison Africa.

En quoi consiste cette programmation africaine ?
Elle est d’abord contemporaine, puisque nous avons invité des programmateurs africains à nous offrir un panorama de ce qu’ils avaient débusqué récemment. Mais nous nous sommes aussi tournés vers quelques grands classiques de l’animation africaine, notamment le travail de Moustapha Alassane ou celui des frères Frenkel. Et nous avons voulu représenter l’ensemble du continent. Mohamed Beyoud du festival de Meknès nous propose ainsi un panorama de l’animation du Maghreb. Sans oublier que plusieurs films africains font partie de la sélection officielle cette année, dans les diverses sections compétitives. Et pour la première fois à Annecy nous présenterons un long métrage nigérian récent, Lady Buckit & the Motley Mopsters de Adebisi Adetayo. On connait le cinéma du Nigeria au travers du prisme de Nollywood. On verra ce que Nollywood a à offrir au monde de l’animation.

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : ANNECY FESTIVAL/S. Matter


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