Cinéma

Lumière MIFC 2021 - Restauration et conservation à l’heure de la transition écologique

Date de publication : 15/10/2021 - 08:15

Montée en partenariat avec le média Club’Green, une table ronde se tiendra durant le Marché International du Film Classique, pour aborder ce sujet, pour le moment à ses prémices, même si des pratiques vertueuses ont déjà été engagées par le CNC et des prestataires techniques.

Le 30 juin Dominique Boutonnat, président du CNC, a annoncé le lancement du plan "Action ! Pour une politique publique de transition écologique et énergétique dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel et de l’image animée". Afin d’aider la filière à transformer radicalement ses habitudes de travail, le Centre a décidé de mettre en place une politique progressive qui se déploiera en trois phases. 2022 sera l’année de l’incitation et de la sensibilisation grâce à la création de différents outils, à commencer par un observatoire de la transition écologique et énergétique mais aussi une méthodologie commune à l’ensemble du secteur pour mesurer l’impact carbone des œuvres. Des normes seront définies en 2023, l’amélioration des dépenses énergétiques par la rénovation thermique des bâtiments (salles de cinéma et studios de tournage) étant notamment accompagnée. Et la réalisation d’un bilan carbone pour toute œuvre ou projet financé par le CNC deviendra obligatoire. Outils et moyens ayant été ainsi mis en place, la phase trois pourra se déployer à partir de 2024, débouchant sur une conditionnalité des aides du Centre au respect de certaines obligations.

LA FILIÈRE DU PATRIMOINE CONCERNÉE À DOUBLE TITRE
Certes la filière du patrimoine n’est pas expressément désignée, mais elle est concernée à double titre, tant pour la gestion des éléments physiques que pour toute la partie numérisée, dont la masse ne fait que croître année après année. Beaucoup de grands acteurs, à commencer par le CNC, se sont emparés du sujet sur ses deux versants. "Depuis que j’ai pris la direction du groupe, nous avons mis en place des gestes écoresponsables, fait appel à des fournisseurs partageant cet enjeu écologique car cela fait partie globalement de notre politique RSE (responsabilité sociétale des entreprises, Ndlr) C’est un enjeu sociétal très important sur lequel nous essayons d’être proactif", résume Thierry Schindelé, directeur général de Hiventy. D’ores et déjà le laboratoire photochimique de Joinville-le-Pont a été considérablement modernisé tandis que des produits très polluants, étaient remplacés par d’autres. "Nous avons limité l’utilisation de solvants comme le perchloroéthylène, rajouté des filtres à charbon actif pour entrer dans les normes de la Direction des Services de l’Environnement et de l’Assainissement (DSEA) avec laquelle nous collaborons. Pour nos effluents nous sommes raccordés à un réseau séparatif industriel qui est contrôlé régulièrement par un laboratoire agréé par la DSEA. Nous avons changé certains produits, comme le ferricyanure de potassium, utilisé pour le blanchiment des bains, que nous avons remplacé par du chelate de fer. Toute une série d’initiatives qui permettent à notre laboratoire d’être beaucoup moins polluant en 2021" détaille Benjamin Alimi, directeur de la Business Unit Classics chez Hiventy.

Une réflexion similaire a été menée pour optimiser la gestion des stocks physiques au sein d’Eclair Preservation, avec lequel Orfeo a fusionné en avril dernier. "Nous avons lancé une grande politique de numérisation de nos stocks situés à Augy (photo)", précise Christophe Massie, directeur général délégué d’Eclair Préservation. "Et en parallèle nous avons travaillé sur une filière de recyclage, la plus complète possible, des éléments vidéo et film. Cela passe par un tri très précis, que nous opérons nous même, afin de savoir ce qui peut être recyclé ou doit être détruit. Car malheureusement un certain nombre de plastiques ne sont pas recyclables, comme les boites des cassettes vidéo par exemple. Tout le non recyclable est brûlé par l’intermédiaire d’une filière de chauffage urbain". Ce tri, particulièrement complexe, permet d’affiner les coûts de destruction en fonction des supports. Ces opérations devenues indispensables, les solutions d’enfouissement n’étant plus envisageables, obéissent aussi à une logique précise. "On ne peut plus se permettre de tout de garder en vrac. Ce travail de recherche et de sourcing est d’autant plus important, qu’en cas de cession de catalogue il faut à présent être capable de déterminer très précisément de quels éléments on dispose" explique Christophe Massie. D’où la nécessité d’évangéliser les ayants droits sur la nécessité du tri des éléments analogiques souvent vieillissant, dont la conservation impacte l’environnement, ne serait-ce que par le biais de la climatisation des bâtiments de stockage.

UN STOCKAGE NUMÉRIQUE ENERGIVORE
Reste que le stockage argentique, inerte par nature, est malgré tout beaucoup moins énergivore que le stockage numérique et ses datas centers dont la consommation énergétique augmente tous les ans. A première vue le cas des œuvres de patrimoine peut apparaitre bien moins spécifique, beaucoup d’autres secteurs étant concernés par cette problématique de conservation des données. Mais le cinéma se distingue par la taille considérable de ses fichiers. "En moyenne on estime le poids des datas à environs 8 To par film restauré. Chez Hiventy, nous en restaurons environs 80 par an. C’est un volume très important" appuie Benjamin Alimi. Là aussi, la notion de tri est importante afin d’éviter d’accumuler des doublons inutiles. Et différentes solutions permettent de diminuer les empreintes énergétiques. "Nous avons la particularité d’être notre propre hébergeur" souligne Christophe Massie. «"Nous avons deux offres un peu différentes. La première à base de LTO, basée sur la RT043 de la CST et une offre via des serveurs maison. Ils sont principalement à froid et destinés aux fichiers importants les plus lourds mais les moins fréquemment utilisés. Les autres données sont hébergées sur un data center plus classique, un stockage chaud, mais là aussi nous sommes notre propre opérateur et contrôlons entièrement la consommation électrique. Tout passe donc par une segmentation de la nature des fichiers, de façon à n’avoir en stockage chaud que le strict nécessaire". Autre pratique nouvelle la localisation de la numérisation sur le site de stockage physique. "Pendant longtemps un camion a fait tous les jours la navette entre Augy et Eclair. A présent, au lieu de déplacer les bandes nous les numérisons sur place. Nous n’organisons plus qu’une seule navette par semaine ce qui a divisé les coûts de transport par cinq et participe à notre effort pour l’environnement".

UNE PÉRIODE DE CONSULTATION INDISPENSABLE
De bonnes pratiques existent donc déjà, mais elles sont avant tout le fait d’entreprises ou de personnes ayant décidé de prendre le problème à bras le corps. Et pour le moment, chacun s’arrange de son côté avec les moyens du bord. C’est pour cette raison que le CNC a choisi d’accompagner la transition écologique du secteur en commençant par la création d’un observatoire mais aussi la mise en place d’une méthodologie commune. "Cette période de consultation est absolument vitale car, à ce stade, nous manquons d’informations et surtout de chiffres qui pourraient permettre d’établir des règles de calcul" pointe Cédric Lejeune, ancien d’Ymagis, qui œuvre à présent pour Workflowers (société travaillant notamment aux côtés d’Ecoprod, proposant aux entreprises média des services d’audit, d’accompagnement et de formation pour leur transition écologique). "Le temps de cette réflexion est fondamental pour accompagner les professionnels dont ce n’est pas le cœur de métier" appuie Julien Tricard, président du Media Club’Green. D’autant que la conditionnalité des aides du Centre s’appliquera dès 2024.

Si la conservation des œuvres de patrimoine ne peut plus se passer du numérique, elle doit s’orienter vers la sobriété numérique, définie par le think tank, The shift project, comme le passage "d’un numérique instinctif voire compulsif à un numérique piloté, qui sait choisir ses directions : au vu des opportunités, mais également au vu des risques". La sensibilisation des professionnels et des ayants droits aux nécessités du tri des éléments commence à porter ses fruits, encore faudrait-il que les diffuseurs et surtout les plateformes adoptent aussi des attitudes vertueuses en termes de standards de diffusion. Vers les années 2010, les restaurations se faisaient en 2K, le 4K étant réservé aux œuvres prestigieuses. Ce dernier est à présent une norme générale, à laquelle commence à s’ajouter, dans quelques cas bien précis, le HDR, certes mieux à même de restituer certaines nuances de pellicule, mais au prix d’un poids de fichier toujours plus important. Et Netflix travaille déjà sur une amélioration de l’encodage des données qui pourrait permettre, dans un avenir proche, une meilleure gestion du transfert des images en 8K. Est-ce bien raisonnable ?

Patrice Carré
© crédit photo : Eclair Préservation


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