Cinéma

Lumière MIFC 2017 - L’obligation de recherche d’exploitation suivie des œuvres en pratique

Date de publication : 18/10/2017 - 08:33

Un an après l’arrêté instituant l'obligation de recherche d'exploitation suivie des œuvres, la SACD et le Marché international du film classique ont inauguré, ce mardi 17 octobre, le traditionnel colloque du volet professionnel du Festival Lumière par une table ronde pratique sur la question.

L’objectif de cet échange, comme le rappelait en préambule Anthony Bobeau, son animateur, était donc de définir les obligation, limites, conséquences et perspectives de la nouvelle règlementation, instituée le 7 octobre 2016 par un arrêté législatif, lui-même issu d’un accord interprofessionnel du 3 octobre de la même année dont les négociations auront agité toute la filière durant plus de dix mois.

La première partie de la table ronde, prenant pour témoins Isabelle Meunier, responsable du service de négociation des contrats à la SACD, et Gilles Venhard, directeur de l’administration du catalogue chez Gaumont, se consacra avant tout à la nécessité d’un tel accord, traduit pratiquement dans la loi. En bref, de savoir "pourquoi nous sommes passés d’une obligation d’exploitation des œuvres conforme aux usages de la profession à une obligation de recherche d’exploitation suivie".

Un dispositif issu, selon Isabelle Meunier, "d'une volonté des auteurs et de ses sociétés de muscler un petit peu les obligations d’exploitation". L’occasion de préciser à cette table ronde le domaine d’application des œuvres concernées, à savoir les courts et longs métrages avec visa d’exploitation définitif dont le producteur délégué est de nationalité française et dont le financement est majoritairement français. Une définition qui n’exclut pas pour autant des dérives, comme l’ont rappelé les échanges avec la salle en fin de rendez-vous, évoquant notamment le cas du Napoléon d’Abel Gans, dont l’obstruction d’American Zoetrope, société de Francis Ford Coppola et propriétaire des droits internationaux (à l’exception de la France), en empêche l’exploitation complète.

Une obligation de moyens
Ce point fut également l’occasion pour la société d’auteurs de préciser qu’il s’agit surtout d’une "obligation de moyens". "La responsabilité des producteurs n’est engagée qu’en cas de faute ou de non mise en œuvre des moyens promis", précise Isabelle Meunier. Mais l’arrêté instaure également deux nouveautés : l’obligation de conserver et d’adapter le film aux standards techniques de diffusion actuels, mais aussi d’informer l’auteur et ses ayants droit.

La réglementation prend d’ailleurs en compte une présomption d’exploitation de l’œuvre, en cas de mandat ou de cession des droits à un service en ligne accessible en France et à l’étranger. La présentation a offert la possibilité de préciser les limites de cette obligation, citant notamment les obstacles liés à la renégociation des contrats, la rentabilité de l’exploitation et les difficultés commerciales.

Toutefois, cette obligation fut également accompagnée de son lot de contreparties. De la part des diffuseurs et distributeurs dans un premier lieu, autour de la promesse d’efforts d’acquisition et de distribution et de l’information des producteurs sur les démarches à effectuer. Mais également de la part des sociétés de gestion collective d’auteurs pour une assistance autour de la recherche et l’identification des auteurs et ayants droit, la lutte contre la dissociation artificielle des droits et les moyens de pallier aux difficultés de négociation.

Au rang des avantages, Gilles Venhard a souligné au passage les dispositions facilitant une médiation entre les parties autour de la négociation des droits d’exploitation. Le cataloguiste a parallèlement tenu à insister sur l’engagement nécessaire des diffuseurs, car "si personne n’achète le film, vous restez avec un catalogue mort même si tous les droits sont actifs. Le fait d’avoir un contrat ne certifie pas que le film soit vu. Le producteur n’a accompli qu’une obligation de recherche d’exploitation". En réponse, la SACD a précisé la mise en place d’un comité de suivi chargé d’analyser la bonne exécution de l’accord.

La "vraie bataille" de la diffusion
La suite de la table ronde fut l’occasion d’inviter Sabrina Joutard, directrice adjointe du catalogue de Pathé, et Ellen Schafer, responsable du catalogue classique chez SNC/SND (Groupe M6), afin de témoigner de leur point de vue. Ces dernières accueillent "un accord plutôt équilibré, qui précise de nouveaux sujets en termes de mise aux normes techniques et de stockage, importants pour les cataloguistes", a témoigné Sabrina Joutard.

Les deux panelistes ont toutefois souligné le manque de moyens pour la diffusion du cinéma classique. Relevant tout d’abord un problème d’éducation du public quant aux œuvres les plus fragiles ou méconnues, "car on ne peut pas désirer ce que l’on ne connaît pas", mais également de prises de risques des diffuseurs TV, en alertant au passage sur la réduction des fenêtres consacrées aux films de répertoire, et notamment sur les canaux du service public. "Comment convaincre un diffuseur de s’engager sur des œuvres classiques méconnues voire inédites en salle ?, a interrogé Ellen Schafer. En conséquence, nous devons chercher des choses nouvelles, d’autres idées pour dégager des opportunités, parfois même en s’engageant personnellement."
Et la cataloguiste de citer l’exemple de Vivre ensemble (photo), premier long d’Anna Karina, pour lequel SNC a expérimenté le crowdfunding, tout en engageant des ressources de sa maison mère et en s’appuyant sur un distributeur salles, Malavida, convaincu par l’œuvre. Présenté cette année au Festival Lumière sous ses nouveaux atours, le film a été restauré en 4K à partir du négatif Super 16 mm, réparé et nettoyé chez Daems, puis numérisé et restauré chez Hiventy. Il sortira sur grand écran au printemps 2018.

Un déficit d’opportunités télévisuelles que le digital n’a pas compensé. "Les nouveaux médias, nous en sommes tous revenus. Et le déclin de la vidéo physique rend l’entreprise compliquée à amortir. Aujourd’hui, l’exploitation d’un catalogue de films est une vraie bataille", a appuyé Sabrina Joutard.

"Longtemps oubliés du public"
Serge Bromberg, fondateur et dirigeant de Lobster Films, fut ensuite invité pour partager le point de vue d’un éditeur et distributeur de cinéma classique. Sa société, "à l'origine fondée essentiellement autour de l’activité de recherche des films dans les caves et les greniers" a-t-il tenu à rappeler, s’emploie donc à les réintroduire ou même les présenter au public.

"Les films orphelins, il y en a énormément, mais ceux parmi eux qui rapportent de l’argent ne restent pas orphelins très longtemps, a constaté le distributeur. Depuis des dizaines d’années, tous les films qui avaient un intérêt commercial ont été concentrés entre les mains de gros catalogues, ce qui fait des sociétés comme la nôtre un peu les voitures-balais du cinéma. Nous récupérons ceux qui n’ont plus eu de contact avec leur public depuis très longtemps."

Et Serge Bromberg de regretter "la politique actuelle des diffuseurs", qu’il a qualifiée "d'inepte" pour refuser d’endosser un rôle jugé nécessaire de pédagogie et d’éducation du public. "L’enjeu de cette recherche d’exploitation suivie demeure de recréer le contact de ces œuvres longtemps oubliées du public. La nécessité d’une exploitation continue en devient économiquement illogique, mais elle demeure artistiquement indispensable. Or, sans intervention publique ou volonté politique, ces œuvres laissées au bord du chemin n’ont aucune raison de revenir par accident au milieu du chemin."

L’auteur devenu coproducteur
Enfin, la présence de Christian Carion à la table ronde a ainsi permis d’apporter le regard d’un réalisateur et auteur. Le cinéaste a ainsi témoigné que, dans son rôle, "on est toujours tournés vers demain. Une fois que le film est fait, on n’y pense plus ou presque. On se préoccupe rarement d’hier". Or, il a fallu plusieurs aventures pour pousser l’auteur de Joyeux Noël et Une hirondelle a fait le printemps à une "prise de conscience" quant à l’avenir de son œuvre.

Le réalisateur s’est ainsi résolu à créer une société pour entrer en coproduction sur chacun de ses films. "Comme le droit moral n’existe pas en dehors de la France, puisque le modèle anglo-saxon domine, la meilleure façon pour un auteur d’avoir son mot à dire est de fonder une boîte pour s’associer au copyright de ses films." Ce qui offre au cinéaste plus d’armes légales pour "se battre afin de maintenir l’esprit dans lequel j’ai fait mes films. Je ne veux pas laisser au producteur délégué la seule responsabilité du souvenir, mais aussi de la conservation de l’œuvre".

Les échanges avec la salle ont permis toutefois de soulever quelques points en réponse à cette méthode. Le premier concerne cette transformation de l’apport droits d’auteur en apport droits de coproducteurs, un "montage" qui serait "très mal apprécié par les juges en cas de contentieux", a tenu à témoigner Marina Girard-Muttelet, Pdg de Crossing, qui gère les droits de nombreux réalisateurs.

Aussi fut posée la question de la succession, en indivision, dans le cas où plusieurs héritiers seraient concernés. Un élément de réponse fut apporté par Serge Bromberg, qui a tenu à rappeler le cas de Charlie Chaplin, qui avait créé une fondation encadrant des règles très strictes pour la conservation et l’exploitation posthumes de son œuvre.

Un point sur la négocation des contrats
La table ronde s’est clôturée sur un point autour du suivi de la négociation des contrats à la SACD, mené par Guillaume Jobbe-Duval, juriste négociateur à la société d’auteurs. Ce dernier est d’ailleurs revenu, entre autres, sur le protocole passé par la SACD avec la Direction nationale d'interventions domaniales (DNID), permettant la renégociation des droits ou frais de succession en cas d’œuvre en déshérence.
L’occasion aussi d’évoquer plusieurs pratiques, comme celle de favoriser un mandataire unique des ayants droit d’une œuvre pour faciliter les négociation, et la mise en place de contrats cadres avec les principales structures de catalogues.

Sylvain Devarieux
© crédit photo : Malavida


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