Cinéma

Cannes 2022 – Erige Sehiri, réalisatrice de "Sous les figues" : "Offrir un espace d’expression aux acteurs"

Date de publication : 21/05/2022 - 09:30

Sélectionné par la Quinzaine des réalisateurs, le film, l’un des trois tunisiens présents cette année à Cannes, possède la particularité de se dérouler durant une seule journée.

Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours de réalisatrice?
C’est tout naturellement que j’ai commencé par réaliser des documentaires. Je pouvais filmer moi-même ce qui m’intéresse chez l’autre. Cela rendait mon désir de cinéma plus accessible. Et ce fut mon école. Étant franco-tunisienne, j’ai ressenti le besoin et la nécessité de produire des films en Tunisie au lendemain de la révolution de 2011, et particulièrement des documentaires. D’abord parce qu’on ne pouvait pas s’exprimer librement avant cela et aussi parce qu’il était devenu essentiel de réparer les blessures, de se regarder en face, de connaître son histoire et permettre à la jeunesse de la réécrire.
 
Comment présentez-vous Sous les figues en quelques mots ?
Un huis clos à ciel ouvert où dans l’espace d’une journée de récolte, des histoires et des relations s’entremêlent.
 
Comment vous est venue l’idée de ce film ?
Je préparais un casting pour un autre film et j’ai eu un coup de coeur pour Fidé, une lycéenne. J‘apprends qu’elle passe tous ses étés à travailler dans les champs. Je m’intéressais déjà à ces travailleuses, celles qu’on appelle aussi les femmes des camions, que l’on transporte à l’arrière d’un pick-up comme du bétail. Inspiré par elles, j’ai tout d’un coup décidé de changer de film et de m’intéresser particulièrement aux saisonnières pour qui le travail dans les champs ou les vergers sont à la fois une nécessité étouffante et un espace de liberté pour être ensemble ou rencontrer des garçons.
 
Vous parlez d’un huis clos. Donc décor unique en extérieur ?
Oui, parce que j’avais besoin de lumière, de simplicité et de naturel comme les femmes du film. Le huit clos sous les arbres apporte une intensité aux émotions et aux gestes. Nous étions limités dans l'espace car cela réduit les possibilités de mise en scène, mais nous avions une grande sensation de liberté. Nous filmions à une seule caméra, sans machinerie, dans une sorte de grande chorégraphie collective, où les acteurs et actrices croisaient les vrais travailleurs en pleine récolte des figues.
 
Il y a eu des étapes déterminantes en termes de production  ? 
Je connaissais Palmyre Badinier qui m’avait accompagnée sur mes précédents documentaires et j’avais rencontré Didar Domehri deux ans plutôt dans un programme d’accompagnement de réalisatrices. Lorsque je leur ai parlé de Sous les figues, elles ont tout de suite adhéré à mon besoin d’écrire et de réaliser avec beaucoup de spontanéité et de faire un film par envie. Elles se sont investies très vite sans avoir encore demandé de financements, comme cela pouvait encore se faire il n'y a pas si longtemps.
 
Vous aviez un texte très écrit, ou au contraire vous avez laissé part à une certaine improvisation ?
J’ai fait le choix dès le départ de travailler avec des non-acteurs et de filmer les répétitions avec leurs costumes pour capter des moments de sincérité. Je ne leur donnais pas de dialogues écrits mais ils connaissaient la trajectoire de leurs personnages et les relations qu'ils entretenaient les uns avec les autres ainsi que les intentions et structures des scènes. Ils improvisaient et je réécrivais. C'étaient leurs mots, leur façon de parler. Ils ont une intelligence du jeu.
 
Vous cherchiez un décor, une atmosphère précise ?
J’ai tourné aux alentours du village de Kesra, dans le Nord-Ouest de la Tunisie, le village d’origine de mon père. Petite, la fin de mes vacances d’été étaient rythmées par les cueillettes des figues. Pour le film, je cherchais de vastes vergers avec de grands arbres.  On a même fait le casting des arbres ! Ils devaient nous envelopper tout en laissant passer la lumière.
 
Quand avez-vous tourné ?
Nous avons tourné durant la récolte des figues en 2020, puis en 2021. Nous étions contraints par la saison des figues et dépendants de la météo ! Le film se passe sur une seule journée. Nous devions composer avec ce que l'environnement nous offrait. Le plus drôle et le plus touchant c’était la cohabitation entre l’équipe de tournage et les ouvriers agricoles qui étaient là pour la vraie récolte. Parfois, ils oubliaient qu’on tournait un film et réagissait à certaines scènes comme si c’était la vie. 

Avez-vous développé une méthode de travail particulière ?
J’ai certainement développé une méthode qui va encore évoluer mais le plus important pour moi c’est d’offrir un espace d’expression aux acteurs et de capter particulièrement ceux qui écoutent et pas seulement ceux qui parlent.
 
Le film a été terminé quand en fin de compte ?
La veille du Festival de Cannes.
 
Qu’attendez-vous de cette sélection à la Quinzaine des réalisateurs ?
Un public ému d’abord, une première du film qui l’emmène loin j'espère... Et l'occasion pour moi d’avoir plus de moyens pour le prochain film en préparation !

Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : Elise Ortiou Campion


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