Télévision

Lumière MIFC 2020 - Restauration des oeuvres audiovisuelles : vers un cercle vertueux ?

Date de publication : 16/10/2020 - 08:20

La restauration des œuvres audiovisuelles se heurte à de nombreux obstacles, à commencer par celui de l’absence de toute aide financière et l’extrême fragilité de nombreux supports. Le développement accéléré de nouveaux modes de consommation des produits culturels, nés du confinement, pourrait aboutir à la création de nouveaux marchés. Mais les restaurations emblématiques, à l’instar de celle de la série Maigret (photo) sont encore trop rares. 

En 2017, à la fin du Marché international du film classique, une table ronde technique, réunissant notamment des représentants de la Ficam, du CNC et de l’INA, avait tenté de faire le point sur la restauration des programmes audiovisuels, afin de sensibiliser les ayant droit à une problématique dont le cinéma s’était déjà emparé depuis longtemps. Un an après l’arrêté du 7 octobre 2016 sur l’obligation de recherche d’exploitation suivie relative aux œuvres cinématographiques et audiovisuelles, l’idée était aussi d’explorer les différences de pratiques à partir de ce qui existait déjà dans le cinéma. Il en était ressorti que le chantier était titanesque au regard d’un marché quasi inexistant. Trois ans plus tard, force est de constater que la situation n’a guère évolué. Pourtant, certains indices laissent à penser que cette période d’attentisme pourrait toucher à sa fin : “Il me semble que la situation de l’audiovisuel est un peu la même que celle du cinéma au moment de la prise de conscience de la valeur patrimoniale. Il n’existe à la fois pas de programme restauré, pas de demande et aucun dispositif d’aide. Et surtout, on manque d’exemples d’œuvres assez fortes qui pourraient envoyer des signaux au marché”, analyse ­Christophe ­Massie, fondateur d’­Orfeo et directeur général adjoint d’Éclair Préservation.

Le fait est que restaurer un programme audiovisuel n’est pas tâche aisée, en raison de la diversité et de la fragilité des supports d’une part, mais aussi du fait que l’écrasante majorité des masters étant faite en video 4/3 à partir du milieu des années 1980, les tirer vers le haut se révèle extrêmement difficile. Avec l’arrivée du 16/9 puis de la HD, la restauration devient plus aisée, mais une grande partie de la production audiovisuelle française se situe, de ce point de vue, dans une véritable zone grise. D’autant que, contrairement aux pratiques en vigueur dans le cinéma, la plupart du temps, un seul master est tiré, duquel seront issus un ou plusieurs PAD. Autre problème, les durées des droits : elles sont plus courtes en télévision et réparties la plupart du temps entre plusieurs auteurs. Un morcellement qui complexifie la donne quand il s’agit de clarifier la chaîne des droits en vue d’une nouvelle exploitation. “À tout niveau, c’est une économie plus complexe que celle du cinéma, avec un marché qui n’existe pas encore”, résume ­Christophe ­Massie.

Il n'existe aucune aide
Des représentants du secteur ont mené des discussions avec le CNC et l’INA, afin de sensibiliser à l’opportunité de créer une aide financière, calquée sur celle mise en place par le Centre en 2012 pour soutenir la numérisation des œuvres cinématographiques du patrimoine. Mais, à partir de 2018, cette aide a été prolongée dans un budget de plus en plus contraint, le CNC travaillant depuis sur de nouvelles pistes. Dans un contexte aussi tendu, il semble bien illusoire d’imaginer la création prochaine d’un soutien financier fléché vers le patrimoine audiovisuel, y compris du côté de Bercy.
Tout repose donc sur l’engagement des distributeurs, qui possèdent parfois de véritables trésors dans leurs catalogues. Celui de Technisonor, acheté en 1999 par le groupe Lagardère, comprend ainsi la série Madame le juge avec ­Simone ­Signoret ou encore la première réalisation de Tony ­Scott, L’auteur de ­Beltraffio, épisode de 52 minutes d’une série consacrée aux nouvelles d’Henry James réalisé en 1974 pour le compte de TF1. Mais pouvoir à nouveau les exploiter est une autre histoire : “Nous avons notamment dans notre catalogue des œuvres de patrimoine cinématographique et nous avons travaillé sur la restauration de Cyrano de ­Bergerac de Jean‑Paul ­Rappeneau. Cela a contribué à mettre en lumière le fait qu’il n’existait aucune aide pour restaurer les œuvres audiovisuelles”, souligne ­Emmanuelle ­Bouilhaguet, ­directrice générale de Lagardère Studios Distribution, qui est à la tête de plus de 10 000 heures de programmes. À cela s’ajoutent les limites de la restauration à partir d’une source uniquement vidéo, certaines œuvres ne pouvant tout simplement pas être remastérisées, à commencer par certaines captations théâtrales. C’est le cas notamment pour celle du Père Noël est une ordure. “La pièce a été captée en 1’C Secam. Ce format obsolète n’est pratiquement plus lisible et les informations qu’il contient sont d’une très mauvaise qualité. Cela fait partie des limites techniques pour restaurer une œuvre audiovisuelle”, explique Emmanuel Bornet, directeur technique de Lagardère Studios Distribution.

En France, le déploiement relativement tardif de la HD a permis pendant longtemps de continuer à réexploiter de nombreuses œuvres audiovisuelles, au prix parfois d’un léger rafraîchissement de l’image. Mais l’évolution radicale du marché impose à présent des remasterisations systématiques afin de pouvoir continuer à diffuser les œuvres. Parmi les projets à l’étude chez Lagardère Studios Distribution figure Le comte de Monte-Cristo, la minisérie réalisée en 1998 par Josée Dayan avec ­Gérard ­Depardieu, qui présente notamment un fort potentiel pour le marché international. “Pour poursuivre son exploitation dans de bonnes conditions, nous devons opérer un gros travail de remasterisation, car il faudra tout remonter en HD. Nous sommes décidés à le faire, mais cette décision ne peut pas être décorrélée de la question du financement. Le modèle économique est tel que l’on peut engager ce genre de travaux uniquement si une vente vient compléter notre apport financier. C’est un sujet clé. Même un groupe comme le nôtre ne se lancera pas dans une telle opération sans envisager son potentiel ­commercial et, de fait, sa rentabilité économique. Je pense que notre expérience dans le domaine du cinéma pourrait nous aider à trouver un partenaire, éventuellement diffuseur, qui nous épaulerait dans cette démarche”, expose ­Emmanuelle ­Bouilhaguet. Certaines opérations peuvent être payantes sur des œuvres très fortement identifiables. C’est le cas pour la série ­Maigret (photo), avec Bruno ­Cremer, diffusée à partir de 1991. Confiée à ­Neyrac ­Films et supervisée par John ­Simenon, la restauration des 54 épisodes de 90 minutes, qui a duré 18 mois, a été menée exactement comme celle d’un long métrage cinéma : “C’est l’une des rares séries de l’époque dont le négatif avait été monté. Partant de là, nous avons pu récupérer un maximum d’informations, ce qui nous a permis d’obtenir un résultat très impressionnant, détaille ­Emmanuel ­Bornet. Par ailleurs, une nouvelle génération d’acteurs apparaît tout au long des épisodes, de ­Karin ­Viard à ­François ­Berléand, en passant par ­Olivier ­Gourmet. C’est une œuvre patrimoniale dans tous les sens du terme.” Une fois restaurée, elle a été vendue à C8 et poursuit notamment une exploitation SVàD sur ­Amazon Prime Video. Le distributeur travaille aussi énormément avec l’INA, en coexploitant certaines de ses séries avec l’établissement public où en partageant des tâches, comme cela a été le cas pour L’histoire de l’aviation. La série signée par ­Daniel ­Costelle et René‑Jean ­Bouyer a ainsi été remastérisée en HD et colorisée avec l’équipe de CC&C, pour être rediffusée sur RMC Découverte en février 2019.

L'INA se lance dans la SVàD
L’INA, qui hérite des droits producteurs et de la plus grande partie des supports de l’audiovisuel public, est également en charge de la mission de dépôt légal pour l’ensemble des documents audiovisuels radiodiffusés ou télédiffusés, ainsi que du web média. L’Institut a également noué des accords particuliers avec des sociétés de production, des fédérations sportives et diverses entités culturelles en jouant à la fois le rôle de stockeur et de conservateur tout en numérisant leurs contenus sur la base de contrats de droit privé. ­Grâce à ses propres moyens techniques, l’INA a numérisé à ce jour près de 95% de son fonds. Outre ses deux accès professionnels, INA Media Pro et, plus récemment, Media Clip, l’organisme a lancé sa propre plateforme de SVàD. Baptisée Madelen, elle propose environs 13 000 programmes en haute définition, tout en se basant sur une très forte éditorialisation. “Le sujet majeur des prochaines années est de cibler dans la profusion. Madelen repose donc sur une recommandation exclusivement humaine. Aucun algorithme ne tourne, chaque choix de programmation est effectué par des documentalistes ou des journalistes. Notre connaissance de nos propres collections nous permet de guider l’utilisateur et nous essayons toujours de faire ­coller nos propositions à une certaine actualité”, éclaire ­Brice ­Amouroux, qui pilote les opérations techniques de l’INA. Parmi Les brigades du Tigre, Les nouvelles aventures de Vidocq, Fantomas ou encore un documentaire sur Thierry La Fronde, figure ainsi Anna. Ce téléfilm réalisé par Pierre Koralnik, qui a été diffusé le 13 janvier 1967 sur la Première chaîne de l’ORTF a la particularité d’être interprété par ­Anna ­Karina, Jean‑Claude ­Brialy et ­Serge ­Gainsbourg, qui a composé la musique de cette comédie musicale un peu déjantée. Présenté dans plusieurs festivals, il a été dernièrement projeté à Angoulême. Et l’INA est en train de lancer la restauration d’une vingtaine de titres de la série d’André Labarthe, Cinéastes de notre temps, en vue d’une rétrospective qui se déroulerait à la Cinémathèque française à l’automne 2021. “Cela soulève de grands enjeux juridiques en raison d’un grand nombre d’extraits de films par épisode, impliquant de clarifier beaucoup de droits”, précise Brice Amouroux.

Entre frémissements et bascule
Lancée le 18 mars, soit le lendemain de l’entrée de la France en confinement, Madelen comptait un mois plus tard 50 000 abonnés et jusque 500 000 vidéos visionnées par jour, dans un contexte évidemment favorable. Comme le confirme le baromètre d’Hadopi (cf. encadré), le confinement a notamment été marqué par l’arrivée sur Internet d’une tranche de la population de plus de 40 ans, en quête de contenus culturels. Des internautes pas vraiment captifs de TikTok ou des vidéos de youtubeurs qui se sont donc tournés vers des plateformes de SVàD. Le moment de ré-exploiter des contenus audiovisuels patrimoniaux serait-il venu grâce à de tels consommateurs ? La question commence à se poser. Dans le cadre de la fusion en cours des équipes de distribution de ­Newen et TF1 Droits Audiovisuels, la directrice de l’innovation de Newen, ­Marianne ­Carpentier, a entamé l’inventaire des catalogues des deux entités, y découvrant des trésors : “Du côté de Telfrance, il y a notamment les feuilletons télévisés de l’ORTF des années 1960 (Thierry La Fronde, Janique Aimée…), les premières grandes sagas télévisées et les séries de prime. Comme nous avons toujours prêté soin à leur conservation, les éléments sont dans des états satisfaisants. Nous nous posons donc la question de comment redonner vie à ces contenus.” Le groupe a commencé à travailler dans cette nouvelle direction en créant des chaînes YouTube, dont une basée sur les reportages de L’effet papillon, une autre étant prévue autour de programmes sur le thème de la santé. Et courant octobre sera lancée une nouvelle chaîne ­baptisée Inoubliable, qui reprendra les premières séries et autres sagas de la télévision française comme Un château au soleil ou encore Le vent des moissons. “Il nous semble qu’il existe à la fois une appétence et un changement de comportement, ce qui pourrait allonger la durée d’exploitation des œuvres. Mais c’est un marché encore balbutiant”, confirme ­Marianne ­Carpentier. Le problème du financement préalable des frais techniques reste entier : le coût même d’une simple remasterisation, qui se situe dans une fourchette comprise entre 20 000 € et 30 000 €, fait hésiter les grands groupes et bloque les indépendants. D’autant que le prix d’achat des œuvres audiovisuelles patrimoniales n’a rien de comparable avec ceux pratiqués pour les longs métrages cinéma. ­Salto pourrait peut-être apporter un début de réponse, mais ­certains acteurs du secteur restent très dubitatifs à ce stade. Pour d’autres, au contraire, une bascule serait sur le point de s’opérer, comme le souligne Christophe Massie : “Je pense que tout le monde a envie de voir circuler les œuvres de patrimoine, notamment audiovisuelles. C’est un sujet dont beaucoup souhaitent s’emparer, mais il faut arriver à amorcer un cercle vertueux, comme pour le cinéma. De ce côté, les grands groupes ont acquis un vrai savoir-faire et la logique serait de développer une approche similaire pour l’audiovisuel. Il semble qu’il y ait des frémissements de la part des distributeurs. C’est vital car, en fin de compte, ce sont eux qui auront la ressource et l’expérience nécessaire pour aller chercher des débouchés.”

Patrice Caré


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