Cinéma

Congrès FNCF 2018 - De nouvelles avancées dans la lutte contre le piratage

Date de publication : 27/09/2018 - 08:32

Enjeu crucial pour l’industrie cinématographique et audiovisuelle, le piratage était au cœur de la traditionnelle table-ronde du Congrès des exploitants. L’occasion de faire le point sur les données chiffrées en France et en Europe, tout en dégageant des pistes pour la suite alors que plusieurs batailles judiciaires importantes ont été récemment remportées.

Après le public des salles de cinéma, la FNCF avait décidé de consacrer au piratage le focus offert par la table-ronde du Congrès. Les échanges, qui se tenaient ce mercredi 26 septembre à Deauville, étaient modérés par Isabelle Giordano, directrice générale d’Unifrance. "Il s’agit d’un sujet crucial pour notre secteur", a déclaré d’entrée de jeu Richard Patry, président de la fédération. "La lutte contre le piratage des œuvres cinématographiques et audiovisuelles est une nécessité indispensable et absolue pour l’ensemble de notre filière", d’autant qu’elle représente "le seul sujet d’accord dans notre profession". Aussi, le président de la fédération a mis en avant "une impérieuse nécessité à unir nos efforts pour juguler ce cancer, qui mine l’économie de notre secteur, et par là-même notre capacité à créer, produire, diffuser, montrer ou distribuer des œuvres".

Richard Patry est ensuite revenu sur la création de l’Hadopi et la riposte graduée, via la loi Création et internet de 2009, "un élan pédagogique et juridique" faisant alors de la France "un leader mondial dans la lutte contre la piraterie". Et l’exploitant de regretter la suppression de la suspension temporaire de l’accès à Internet, "sanction ultime qui venait clôturer et crédibiliser tout le dispositif. (…) Nous ne pouvons pas accepter qu’un sentiment d’impunité se soit installé, réduisant de façon trop importante les effets des campagnes pédagogiques, qui ne sont plus du tout crédibles".

Reste que "grâce aux efforts de l’Alpa et des ayant-droits, de nombreux recours ont prospéré devant les tribunaux, réduisant ainsi l’influence des sites pirates, notamment de streaming". L’exploitant s’est ensuite réjoui de l’extrême rareté du camcording dans les salles françaises, tempérant immédiatement son propos en insistant sur le fait que "nous ne pouvons pas accepter le statu-quo dans la lutte contre le piratage et le streaming illégal".

Evoquant le nouvel accord relatif à la chronologie des médias, actuellement en cours de signature, le président de la FNCF renvoie les pouvoirs publics, "comme ils s’y étaient engagés", à "assumer leur responsabilité en renforçant de manière significative et pérenne la lutte contre le piratage". Et Richard Patry de conclure en tirant "un grand coup de chapeau" à Nicolas Seydoux, président de l’Alpa, pour son engagement historique sur le sujet.

Une tendance à la baisse
Après un message vidéo de Charles Rivkin, président de la MPAA, la parole a justement été donnée à l’Alpa, représentée sur scène par son délégué général Frédéric Delacroix. Lequel a commencé par souligner que l’audience des sites pirates est, depuis deux ans, en nette baisse, avec 2 millions de pirates en moins recensés entre 2015 et 2017. Une tendance confirmée par les relevés de l’Alpa et Médiamétrie sur le mois de juillet 2018. Ainsi, selon Frédéric Delacroix, "pour la première fois, nous sommes passés sous le seuil des 25 % d’internautes qui vont au moins une fois par mois sur un site dédié à la contrefaçon audiovisuelle".

Selon ces mêmes relevés, les trois principaux protocoles de piratage seraient également en forte diminution en juillet, avec respectivement 4,58 millions d’internautes piratant via le protocole de pair-à-pair (dit aussi Peer-to-Peer, ou P2P), contre 5,46 millions en 2017 ; 4,99 millions pour le téléchargement direct (ou DDL), contre 7,13 millions l’an dernier ; et 5,31 millions pour le streaming (7,84 millions), devenu le premier protocole de téléchargement l’an dernier.

Frédéric Delacroix a ensuite insisté sur une "hyper-concentration de l’audience pirate" sur un petit nombre de site". Le Top 20 draine ainsi 80 % de cette audience, et le Top 5, près de 50 %. La concentration est également de mise en termes de films. En 2017, 54 % des titres piratés étaient en effet américains, contre 17 % pour les œuvres françaises. Les comédies et les films d’action étant deux des genres les plus plébiscités. Côté séries, plus de 40 % de celles qui sont piratées sont par ailleurs accessibles gratuitement.

Tour d’Europe du piratage
La parole est ensuite revenue à Laura Houlgatte, directrice exécutive de l’Unic, pour un tour d’horizon européen. Il en ressort des disparités fortes selon les pays. Ainsi, moins de 2 % des internautes allemands sont considérés comme des pirates. Un chiffre étonnant qui contraste, par exemple, avec l’Espagne, où les pertes générées par le piratage des films s’établissaient à 453 M€ en 2017, 35 % des "accès" s’étant produits alors que le film était encore dans les salles. Quant à la Pologne, la perte serait équivalente à 50 millions de places de cinéma.

Laura Houlgatte a ensuite relevé, en se basant sur les différentes initiatives menées à travers l’Europe, trois axes de lutte contre le piratage. A commencer par l’éducation et la sensibilisation, qu’il est "très important de ne pas sous-estimer". Et la directrice exécutive de l’Unic d’évoquer des formations pour le personnel des salles avec programme de récompense, comme en Malaisie, au Canada, en Grande-Bretagne ou en Autriche, mais aussi des mesures d’éducation dans les écoles, et, enfin, des campagnes s’adressant "à l’entièreté des publics", par exemple sous la forme de sports diffusés à la télévision ou dans les salles, comme ce fut le cas en Australie.

"L'arsenal législatif et les répressions" qui l'accompagnent, notamment via le blocage de sites illégaux, constitue le deuxième axe selon Laura Houlgatte. D'après elle, "si on tombe sur un site bloqué, puis deux, puis trois, dans 61 % des cas on abandonne". D’autant que "sur ces 61 %, 35 % vont se tourner vers une offre légale". Les sanctions à l’égard des pirates, elles, varient selon les pays. "Cela peut aller de sanctions pénales à des peines de prison, notamment pour ceux qui piratent à très grande échelle et font du profit".

Troisième et dernier axe : les alternatives et collaborations. A commencer par la promotion de l’offre légale, "essentielle" selon Laura Houlgatte. Si plusieurs pays disposent d’une plateforme unique "où il est très facile de trouver le film que l’on cherche et d’y accéder légalement", la Commission européenne a développé sa propre plateforme, Agorateka, qui couvre pour l’instant près d’une quinzaine de pays. "Il faut rendre l’accès au contenu légal facile". Et Laura Houlgatte de rappeler que, si les blockbusters sont touchés, les indépendants le sont eux aussi, avec des conséquences évidemment plus importantes.

Le cas Google, entre reproches et efforts
Représentant Google au sein des panelistes, Carlo d’Asaro Biondo, président EMEA Strategic Relationships de la firme, a pour sa part été plusieurs fois pris à parti durant les échanges. Et paradoxalement, tout en reconnaissant notamment une tendance positive dans les activités du géant Internet en termes de collaboration avec les ayant-droits. Le dirigeant a rappelé "quatre actions" entreprises par Google en ce sens : "un renfort de la capacité de contrôle des ayant-droits sur la plateforme", via notamment l’empreinte maison ContentID et les protocoles de notification et déréférencements ; un travail d’"assèchement des ressources financières" des sites délictueux, qui passe par un filtrage de la publicité et une exclusion desdits sites de la rémunération publicitaire ; un "renfort de la mise en avant de loffre égale" ; et un "changement de l’algorithme pour défavoriser les mauvais comportements" dans le déréférencement.

"Il n’y a aucune différence d’objectif entre les ayant-droits et nous sur le sujet du piratage", a insisté Carlo d’Asaro Biondo. Pour autant, le géant Internet fut toutefois invectivé pour son lobbying contre la directive droits d’auteurs passée récemment au parlement européen. Tout en étant félicité pour ses efforts, un an après l’accord passé avec l’Alpa et le CNC "dont les résultats sont encourageants et de bon augure pour l’avenir", a noté Christophe Tardieu, directeur général délégué du CNC. "Il faudrait stopper les attaques et se concentrer désormais sur ce que nous pouvons faire ensemble", a appuyé son représentant, qui a vanté les mérites de son service Trusted Partner, qui permet une intervention de déréférencement "dans les 2 à 3 minutes" après notification. "Passer par les tribunaux, c’est bien, mais il faut aller plus vite."

Une intervention individuelle dans l’assistance a témoigné en direct d’un grand nombre de références proposées en réponse d’une recherche dans le moteur Google avec le mot "streaming". L’occasion de questionner l’efficacité et la volonté de la firme dans sa lutte contre le piratage. "Il faut de la technologie pour le faire efficacement, mettre en place des process et des outils, car cela ne peut pas être effectué à la main", a répondu Carlo d’Asaro Biondo. "Cela prend du temps, et il faut pouvoir identifier les droits. Nous discutons ensemble pour développer et appliquer ces dispositifs."

Une jurisprudence favorable
Incarnant la FNDF, son président, Victor Hadida, est intervenu pour sa part sur le volet judiciaire, notamment pour détailler la jurisprudence favorable bâtie brique par sa fédération et plusieurs membres de l’Alpa depuis 2011. "On ne peut être efficace que dans une action unitaire", a commenté le distributeur. "Notre objectif, dans les 6 à 9 mois, est d’élargir notre action de manière massive, pour attaquer significativement l’audience des sites pirates grâce à ces outils judiciaires", a-t-il promis, rappelant le chiffre de l’Alpa établissant que 81% de cette audience était concentrée sur les 20 sites les plus visités. Et Victor Hadida de profiter, en fin de table-ronde, de la présence de Google dans le panel pour demander à la firme une "neutralité dans nos actions en justice, et notamment quand nous cherchons à faire appliquer les décisions", rappelant notamment une échéance judiciaire début octobre à laquelle le géant du Web prend parti en tant qu’opposant aux ayant-droits. "Quand il s’agit de déréférencement, nous serons toujours de votre côté", a répondu Carlo d’Asaro Biondo.

A la veille de ses 10 ans d’existence, la Hadopi, par la voix de son tout nouveau président, à temps plein, Denis Rapone, se déclare "complètement dans l’attente d’une capacité d’agir, dans un cadre qui demande à être révisé". Le dirigeant a toutefois mis l’accent sur l’effectivité de la réponse graduée, une des prérogatives de la haute autorité en termes de lutte contre les sites de pair-à-pair, en termes de sensibilisation des internautes : plus de 60% des utilisateurs de sites pirates abandonnent la pratique après un premier ou un deuxième avertissement.

"Il faut toutefois que la sanction soit absolument certaine pour être dissuasive", a analysé Denis Rapone. Ce dernier a été toutefois entendu. La députée LREM Aurore Bergé, rapporteuse de la mission d’information sur une nouvelle régulation de la communication audiovisuelle à l’ère numérique, a en effet livré quelques propositions qui seront formulées dans ce sens dans le rapport de la mission parlementaire. Tout d’abord, un renfort du pouvoir de caractérisation de la Hadopi en termes d’identification des pratiques illicites et illégales. Mais également la dotation d’un pouvoir de transaction pénale, qui lui permettrait de sanctionner sans passer par la case judiciaire. Enfin, l’élue a proposé de consacrer dans la loi les principes dégagés par la jurisprudence des ayant-droits membres de l’Alpa.

Une longue réflexion filée s’est attardée sur les problématiques de sensibilisation et éducation du public, à une époque où le piratage est désormais bien ancré dans les mœurs culturelles des internautes français. Parmi les pistes relevées, Denis Rapone a pour sa part témoigné que "l’implication des stars dans la promotion de la lutte contre le piratage pouvait se révéler contre-productif" car elle pourrait brouiller le message concernant la perte de valeur. Livrant un exemple polonais, Laura Houlgatte a proposé de recentrer toute campagne de promotion sur des thématiques plus proches des utilisateurs, telle que l’impact sur les emplois dans l’industrie. Aurore Bergé a pour sa part souligné les enjeux d’une éducation aux médias "dès le plus jeune âge".

Grands absents de cette table-ronde, les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) étaient pour autant bien présents dans les échanges entre témoins. La demande générale plaidant pour une collaboration renforcée avec les actions de protection des ayant-droits, mais également en termes d’éducation et de sensibilisation de leurs abonnés. "Il est indispensable d’inclure les FAI dans le dispositif", a confirmé Maxime Saada, président du directoire du groupe Canal+. Ce dernier, qui dénombre pas moins de 25 contentieux en cours concernant des usages pirates – dont trois déposés depuis 10 ans -, a par ailleurs élargi le champ de réflexion pour une lutte efficace contre le phénomène : "Il n’y a pas une mesure concrète à prendre, c’est un dispositif complet à mettre en place. C’est étonnant de constater à quel point nos intérêts à tous convergent dans le même sens, sans que nous parvenions à mobiliser ensemble les politiques sur la question."

Représentant la ministre de la Culture, Laurence Tison Vuillaume, sa chef de cabinet, a livré en conclusion quelques précisions sur le plan annoncé par Françoise Nyssen pour lutter contre le piratage. "L’objectif est de lutter contre toutes les formes de piratage" a-t-elle rappelé, en citant notamment le principe d’une "liste noire" des sites délictueux et le "renfort du rôle et du pouvoir" de la Hadopi mais aussi du volet jurisprudentiel, évoqué plus avant. Laurence Tison Vuillaume a ainsi promis "une évolution du mécanisme de la réponse graduée" afin de "changer le logiciel pour mettre fin au sentiment d’impunité. Nous sommes favorables à une pénalité financière intervenant plus tôt dans la procédure, dès les premiers avertissements". Ces points de réformes seraient ainsi "intégrés dans la future loi audiovisuelle", avec l’objectif "que les derniers arbitrages soient rendus dans les toutes prochaines semaines."

Kevin Bertrand et Sylvain Devarieux
© crédit photo : DR


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