Cinéma

Lumière MIFC 2022 - Cicae, un patrimoine en jachère

Date de publication : 21/10/2022 - 08:15

En dépêchant trois de ses représentants au festival Lumière, la Confédération internationale des cinémas d’art et essai affirme son intérêt pour la valorisation du patrimoine cinématographique. Un art difficile dont les Français sont passés maîtres.

Pas une semaine ne s’écoule sans que les distributeurs ne sortent des reprises, souvent restaurées, à l’usage des cinéphiles désireux de découvrir certains classiques sur grand écran. Une exception française vertueuse qui inspire aujourd’hui des initiatives comparables dans toute l’Europe, malgré un faible soutien des autorités de tutelle. C’est contre cette fatalité qui n’en est pas une que la Cicae a décidé de s’impliquer dans cette nouvelle croisade en faveur du patrimoine, malle aux trésors inestimable qui ne demande qu’à être accessible aux cinéphiles dans des conditions techniques et technologiques optimum.
 
Septembre 2022 restera ainsi marqué d’une pierre blanche dans l’histoire du box-office américain récent. Ce mois-là, en effet, deux intrus venus d’ailleurs se sont glissés parmi le Top 10 US : Les dents de la mer (1975) à la 10e place pendant le week-end du 2 au 4 septembre et Avatar (2009) en 3e position deux semaines plus tard. Des reprises sur grand écran qui ont bénéficié d’un traitement de choc : 1 246 copies pour le classique de Steven Spielberg et jusqu’à 1 860 pour celui de James Cameron, avec des recettes respectives de 2,3 M$ et 10 M$ qui peuvent légitimement surprendre pour des films diffusés par ailleurs sur tous les supports. Ce phénomène illustre à la fois l’attrait du public pour le grand écran et son envie d’avoir accès aux classiques dans des conditions technologiques optimum.

Ailleurs en Europe, et tout particulièrement en France, pas un mercredi ne se passe sans que ressortent des œuvres du passé, le plus souvent restaurées. Et le public suit. En 2020, année globalement sinistrée, la reprise estivale d’Akira (1988) a tout de même mobilisé près de 71 000 spectateurs. L’année suivante, alors même que les salles hexagonales récupéraient péniblement de la pandémie de Covid-19, la reprise d’In the Mood for Love (2000) de Wong Kar-wai a réussi à attirer plus de 52 000 spectateurs. Cette année, c’est la ressortie événementielle de La maman et la putain (photo - 1973) de Jean Eustache qui a réuni plus de 31 000 curieux. Le cinéma de répertoire constitue un phénomène atypique en France, face aux assauts conjugués de la vidéo physique et à la demande, ainsi qu’à une offre télévisuelle et de streaming pléthorique. Ailleurs, en Europe, la cinéphilie ne fait pas toujours l’objet du même culte qu’au pays des Lumière.

C’est parce que le cinéma de patrimoine fait l’objet d’une diffusion qui varie selon les territoires, mais aussi des soutiens apportés aux distributeurs et aux exploitants, que la Cicae a décidé de se mobiliser à son tour. Certes, ces trésors inestimables sont sauvegardés par le British Film Institute créé en 1933, la Cinémathèque française qui existe depuis 1936 et la Cinémathèque royale de Belgique en activité depuis 1938. Mais si tous les pays membres de l’Union européenne disposent d’au moins une institution d’archivage du patrimoine, les disparités sont criantes : alors qu’on estimait en 2018 à plus de 400 personnes le personnel employé dans ce secteur en France, il est inférieur à 10 en Irlande, en Slovénie et en Grèce. Des disparités criantes qui incitent aujourd’hui à réagir ces institutions dont l’union fait leur force.

Alors qu’entre 80% et 90% des films muets sont portés disparus, c’est en l’an 2000, que le Conseil de l’UE a reconnu l’importance des archives cinématographiques, en alertant les institutions spécialisées sur "les altérations matérielles irréversibles" qui menaçaient leur préservation. Reste à assurer la circulation fluide des œuvres patrimoniales, à un moment où la fringale des canaux de diffusion s’avère inextinguible. Certes, en 2005, le Parlement européen et le Conseil de l’UE ont publié une recommandation commune sur "le patrimoine cinématographique et la compétitivité des activités industrielles connexes" donnant deux ans aux états membres pour imposer la collecte, la préservation et la restauration systématique de ces œuvres, avec un point d’étape tous les deux ans. La seule numérisation des archives des cinémathèques européennes était estimée en 2018 à… 1 Md€ !

Depuis 2020, les instituts cinématographiques européens organisent A Season of Classic Films, un cycle de projections gratuites destiné à attirer les jeunes vers ce patrimoine trop longtemps en friche. Une initiative initiée entre juin et décembre 2022 par une vingtaine d’archives cinématographiques adhérentes de l’Association des cinémathèques européennes (Ace), avec le soutien du programme “Europe Creative” de la Commission européenne. Lors d’une table ronde organisée en 2019 par le Marché international du film classique (MIFC) sur la thématique "Quelle place pour le cinéma de patrimoine dans les salles en Europe ?", Christian Bräuer, le président allemand de la Cicae, préconisait de programmer les films de patrimoine de la même façon que des œuvres récentes afin de ne pas les enfermer dans un ghetto. Un premier pas concrétisé cette année par la mobilisation de la Cicae qui reflète son engagement.

Jean-Philippe Guérand
© crédit photo : Les Films du Losange


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