Cinéma

Le CNC scruté à la loupe

Date de publication : 20/09/2023 - 12:43

La Cour des comptes a présenté ses observations définitives issues d'un contrôle organique du CNC à travers un rapport de 132 pages couvrant la période 2011-2021. Elle formule dix recommandations et incite notamment le Centre à mener des réformes concrètes pour son système d'aides.

Le dernier contrôle des comptes et de la gestion du CNC par la Cour des Comptes remontait à 2012. Une éternité au regard des (r)évolutions de la filière (intégration des plateformes, crise sanitaire, nouvelle(s) présidence(s) au CNC..). Pour ce rapport, une centaine d'auditions ont été menées auprès de l'ensemble de la filière. "Le CNC fonctionne bien et remplit ses missions de façon satisfaisante. Il a accompagné remarquablement la montée en gamme de la production audiovisuelle et son exportation. Le Centre est toujours le garant du modèle français d'exception culturelle, combinant création et production indépendante", indique Pierre Moscovici, président de la Cour.

Le rapport salue également "la vision stratégique et la capacité d'adaptation du Centre." "Le CNC a parfaitement adapté son modèle de soutien à la révolution numérique comme en témoigne la sécurisation et l'élargissement de ses ressources en intégrant les plateformes. Le CNC s'est également montré efficace et rapide lors de la crise sanitaire permettant à la profession de reprendre rapidement son activité", souligne Pierre Moscovici.

Une évolution du pilotage financier et de la gouvernance ?

La Cour des comptes a souhaité apporter "un message de vigilance" sur le pilotage du CNC. La Cour a notamment mené un examen approfondi sur les provisions et les enjeux de gouvernance. Concernant les comptes et la gestion du CNC, la Cour relève des ressources dynamiques. Le fonds de roulement et la trésorerie déjà élevés ont progressé de "manière tendancielle". Au 31 décembre 2022, cette trésorerie s'établissait à 727 M€. "A l'inverse, les résultats nets de gestion étaient légèrement négatifs ou positifs sur la période", indique le rapport. Cette situation s'explique en grande partie par la politique de provisions du CNC qui atteignent environ 1 Md€ en 2021. Il s'agit essentiellement de provisions pour dépréciation de l'actif et de provisions pour soutiens automatiques et sélectifs. "Sur la période observée, les provisions augmentent beaucoup plus rapidement que les aides distribuées par le CNC", note Pierre Moscovici. La cour relève "une aversion au risque excessive".
 
Dans deux courriers distincts, Rima Abdul Malak, ministre de la Culture, et Dominique Boutonnat, président du CNC, s'étonnent de ces observations rappelant que la mise en place d'un provisionnement des soutiens répond à une précédente demande de la Cour des comptes. La Première ministre Elisabeth Borne estime qu'il serait "utile de réexaminer ces règles de constitution des provisions pour apprécier si, en dépit du cadre réglementaire, une autre politique de sécurisation financière des soutiens apparaissait envisageable.
Par ailleurs, au regard de l'extrême technicité et complexité comptable, la Cour recommande de renforcer les outils de gouvernance financière avec la création d'un comité d'audit rattaché au conseil d'administration et la nomination de commissaires aux comptes. "Il s'agit d'une garantie de bonne gestion", indique Pierre Moscovici. Cette proposition paraît "pertinente" aux yeux de la Première Ministre Elisabeth Borne afin "d'éclairer tant les administrateurs que la tutelle".

Concernant les crédits d'impôts, "sans mésestimer les enjeux de concurrence européenne entre les dispositifs fiscaux", la Cour estime nécessaire, au regard de la dynamique de dépenses, que le ministère des finances mène une évaluation des dispositifs. "Nous recommandons une durée maximale de 4 ans pour ce type de dispositifs qui demandent une réévaluation régulièe", indique Pierre Moscovici.
 
La Cour se penche aussi sur la gouvernance générale. Elle recommande l'instauration d'un contrat d'objectifs et de performance (COP) et une lettre de mission pour le président du Centre, conclus avec les ministères de la Culture et des finances. " La mise en place des outils habituels de gouvernance pour cet opérateur important est indispensable", assure la Cour. Rima Abdul Malak s'engage à établir une lettre de mission "permettant de mieux cadrer" l'action du président au cours de son mandat.

La Cour plaide pour une meilleure lisibilité des aides

La Cour des comptes prône une "nécessaire simplification et une meilleure lisibilité" du système d'aides et de soutiens octroyés par le CNC. Rappelons que le CNC avait mené une revue générale des aides dès 2019. Depuis, la Cour estime que le nombre et la complexité des dispositifs n'ont pas diminué, "bien au contraire". 120 dispositifs d'aides sont recensés en 2021 contre 88 en 2011. La Cour estime qu'il s'agit "d'un élément de fragilité et d'opacité" pour le CNC.

Dominique Boutonnat avait indiqué privilégier une approche au cas par cas pour ces aides en indiquant que des réformes avaient déjà été mises en œuvre (avance sur recettes, aide au cinéma du monde, aide à l'écriture…). Les professionnels ont également fait part de leur attachement à ces dispositifs "à la carte". Pourtant, la Cour aimerait aller plus loin. Pour elle, la complexité des aides associée à leur éparpillement rend "difficile toute évaluation de leur efficacité respective".

La Cour enjoint donc le CNC à proposer rapidement des réformes concrètes. Au regard des provisions et des perspectives favorables des taxes affectées au CNC, la Cour aimerait aussi que le Centre contribue davantage au développement de nouvelles actions de soutien à la filière, " aujourd’hui largement financés par des crédits budgétaires" et non plus seulement aux œuvres.

La Cour s'intéresse également à la sempiternelle question du nombre de films produits. L'entité relève une part importante et croissante de films ne trouvant pas leur public dans les salles. En 2019, un tiers des films d’initiative française attiraient moins de 20 000 spectateurs. En parallèle, la Cour constate une hausse "significative" des soutiens publics dans le financement de la production de ces films, avec une part passant de 20 % en 2012 à 28 % en 2019. "L’efficacité marginale du système d’aides au cinéma semble donc décroître, ce qui remet en question la poursuite de l’augmentation continue du nombre de films aidés", déclare la Cour. "Une efficience décroissante" que Dominique Boutonnat a souhaité nuancer : "L'augmentation, sur la période, du poids des crédits d'impôts est le corollaire d'un objectif de politique publique distinct, consistant à favoriser la localisation des tournages en France pour encourager une activité économique dynamique et génératrice d'emplois." Concernant une simplification des aides, si le CNC entend poursuivre ses efforts, Dominique Boutonnat rappelle que "l'activité du Centre comporte une part irréductible de complexité qu'il serait illusoire de prétendre résorber complétement."

L'ASR, une subvention ?

Dans son rapport, l'institution se penche aussi sur une des aides "phares" du CNC : l'avance sur recettes (ASR). "L’ASR joue deux rôles qui ont tendance à se superposer (effet de réputation en amont et bouclage de budget juste avant ou après le tournage)", constate la Cour. " On peut regretter que pour des raisons ayant trait à l’assiette des crédits d’impôt cinéma, l’ASR au même titre que l’avance pour le développement de films de long métrage conserve cette dénomination, car son fonctionnement l’apparente davantage à une subvention", ajoute-t-elle. Par ailleurs, la Cour des comptes s'interroge sur l'absence de ligne directrice et de critères pour déterminer le montant de l'avance, faiblement remboursée.
 
Des mesures "volontaristes" attendues pour le patrimoine

Concernant le patrimoine, la Cour émet des réserves sur le bilan des missions de conservation et de valorisation. Elle attend du CNC des "mesures volontaristes." Elle juge notamment "indispensable" la mise en place par la direction du patrimoine d'un rapport annuel détaillé de l’état d’avancement des projets de numérisation et une publication de la liste des œuvres numérisées. L'institution estime également que le CNC "devrait procéder à la récupération des sommes versées pour des projets qui n’ont jamais abouti."
 
Les dix recommandations de la Cour des comptes à l'égard du CNC  :

- Ministère de la culture (MC), ministère des finances (MF) : Mettre en place d'un contrat d’objectifs et de performance conformément aux procédures prévues pour les opérateurs de l'État.
- MC, MF : Prévoir une lettre de mission adressée par les ministères de tutelle au président du CNC.
- MF, MC : Créer un comité d’audit rattaché au conseil d’administration.
- CNC : Établir une présentation budgétaire et comptable plus simple et proposer des explications claires et concises du passage entre la comptabilité budgétaire et la comptabilité générale.
- CNC, MF : Procéder annuellement à une revue des provisions et à leur ajustement en fonction des risques statistiquement constatés.
- CNC, MF, MC : Mettre en place un commissariat aux comptes afin d'améliorer la transparence et la lisibilité des comptes.
- CNC : À la suite de la revue générale des soutiens, mettre en œuvre une réforme approfondie des aides.
- CNC : Produire chaque année un état détaillé de l'état d'avancement des projets de numérisation et rendre publique la liste des œuvres numérisées.
- CNC : Renforcer le service de l’inspection afin d’augmenter le nombre de contrôles.
- CNC Mettre à jour le plan stratégique informatique, renforcer le pilotage de la fonction SI, assurer la livraison de l'application "CNC Mes aides".
 

Florian Krieg
© crédit photo : Florian Krieg


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