
Annecy 2025 – Jack Lang : "Le plus important dans le domaine des industries culturelles, c'est la régulation"
Date de publication : 12/06/2025 - 08:08
L’actuel président de l’Ima, qui fut à l’origine du Plan Image puis impulsa la création du Mifa lorsqu’il était Ministre de la Culture, a fait le déplacement à Annecy afin de participer à une table ronde qui revenait sur la trajectoire d’un marché devenu un acteur clé de l’animation mondiale.
Vous êtes à l’origine du plan Image qui a contribué à faire de l’animation française le fleuron qu’elle est devenue aujourd’hui. Quel était le contexte de l’époque ?
Dans les années 1983, 1984, le cinéma d’animation français était en mauvaise posture. Notre pays avait connu des heures glorieuses, avec des réalisateurs époustouflants, des films étonnants. Et puis, pour des raisons diverses, il y avait eu une sorte d’essoufflement non pas de l'inspiration mais liée au système. Le résultat c’est que des dessinateurs et des animateurs sont partis ailleurs, de même que des producteurs. Face à une telle situation, nous avons décidé de prendre le taureau par les cornes. Il fallait en effet affirmer une vraie volonté, en disant nous allons sauver le cinéma d'animation, comme nous avions d'ailleurs sauvé le cinéma en général. Quand je suis arrivé au ministère de la culture en 1981, le cinéma italien se mourait, le cinéma allemand déclinait et on prédisait le même destin au cinéma français. Nous avons répondu non, et nous lui avons redonné toute sa dynamique à travers toute une série de mesures. Et nous avons gagné ce pari, puisque le cinéma français demeure aujourd'hui le seul cinéma vraiment florissant en Europe. Il fallait donc faire preuve de la même détermination pour le cinéma d’animation qui était encore plus fragile. Cela s’est concrétisé par des mesures très simples puisque j'ai demandé au CNC d'augmenter la part de financement des films d'animation et j’ai introduit des quotas en leur faveur à la télévision. D’autres dispositions ont été prises, dont je n’ai plus les détails en tête, mais cela a donné une bouffée d'oxygène incroyable à cette industrie. Cela a créé une dynamique positive, les professionnels qui avaient quitté la France sont revenus et l’animation française a repris des couleurs. Et même si actuellement elle traverse une crise, le cinéma d’animation français est le premier d’Europe et le troisième dans le monde.
Pensez-vous que les pouvoirs publics devraient intervenir pour remédier à cette crise ?
Je n’ai pas de solution clé en main, mais je trouve les pouvoirs publics bien mollassons sur de tels sujets. Je suis par exemple totalement opposé à l’accord conclu avec Disney sur la chronologie des médias. Ce n’est pas correct vis-à-vis de Canal+. Certes on me dit que, en contrepartie, Disney participe à la production. Mais en l’occurrence ce n’est pas l’argent qui fait le plus défaut. Le plus important dans le domaine des industries culturelles, c’est la régulation. Et par ailleurs, vis-à-vis des GAFA et des plateformes, je pense que nous sommes trop dociles, trop tièdes en termes de quotas de diffusion, d’obligations de financement, de régulation en général. J’estime que l’on doit attendre des pouvoirs publics une détermination bien plus forte, y compris vis-à-vis des télévisions privées. Heureusement le service public se montre irréprochable, en continuant d’honorer les engagements pris dans les années 85. A à ce stade je pense que le soutien et la réflexion sont vitaux. Peut-être faudrait-il procéder à une véritable radiographie de toute cette filière. Le nouveau président du CNC est un homme de qualité qui a déjà réalisé de belles choses. Il va sans doute œuvrer en ce sens.
Quel regard portez-vous sur le festival d’Annecy et son marché du film d’animation ?
C’est l’exemple même d’un festival qui a démarré modestement pour devenir maintenant, en termes d'accréditations, aussi important que Cannes et Berlin. Mais pour autant ce n’est pas devenu un mastodonte, c’est resté un festival artisanal et à visage humain. Il y a un public fervent et enthousiaste, beaucoup d’étudiants, une ouverture à toutes les cinématographies du monde. Cela me réjouit. C’est un modèle à suivre.
L’intelligence artificielle générative représente pour beaucoup un sujet d’inquiétude. Une manifestation appelant à agir pour encadrer strictement son utilisation est organisée ce vendredi au festival. Quelle est votre position sur ce sujet ?
Je suis heureux de l’apprendre. Si j’avais pu rester à Annecy j’aurai participé à cette manifestation. Car le fait qu’il y ait une prise de conscience est formidable. Je suis favorable à l’usage de l’intelligence artificielle, sous contrôle, dans certains domaines industriels ou dans celui de la santé. Mais il faut être intraitable en ce qui concerne la fabrication des films, l’écriture des scénarios ou encore le travail des doubleurs. Il faut prendre des mesures radicales et fermes. Et si nous devons être les seuls à le faire et bien soyons les seuls. Mais vous savez quand la France prend des mesures dans le domaine culturel elle peut être suivie par d’autres pays. L’État doit être fort sur ce sujet car il en va de la tradition française. Les artistes et les créateurs doivent avoir le sentiment d'être soutenus, encouragés et préservés. En juillet cela fera 40 ans que nous avons fait adopter à l'unanimité une loi révolutionnaire sur les droits d'auteurs et les droits voisins. Avant cette loi, on pouvait diffuser à la télévision ou à la radio, des films ou des spectacles sans que les scénaristes ou les interprètes ne soient rémunérés. Cette loi a tout changé. Nous avons créé aussi la rémunération pour copie privée. Je pense qu’aujourd’hui il faudrait penser à une loi pour encadrer l’intelligence artificielle, comparable par son ambition à ce que nous avons réalisé voici 40 ans. Pourquoi ce qui était possible il y a 40 ans ne le serait pas aujourd'hui ? La patrie de Beaumarchais, la patrie des droits d'auteur se doit d’être à l’avant-garde et tant mieux si des professionnels se mobilisent.
Certains estiment tout de même que l’IA est un outil, sans doute pas comme les autres, mais un outil permettant des gains de temps appréciables...
Effectivement la machine peut servir l'art. La preuve, c'est qu'au moment même où j'ai édicté le plan image, nous avons également encouragé la réalisation de films d'animation par ordinateur. Ces nouvelles techniques ont donc contribué à l'essor du cinéma d'animation français. La technique n'est donc pas synonyme d'ennemi. Mais là il faut défendre les artistes et les créateurs et les pouvoirs publics doivent prendre des mesures radicales et énergiques. C'est capital. Autrement on va faire mourir le cinéma sous toutes ses formes. C’est la même chose pour la musique et la création au sens large. Il est temps d'agir. Vite et avec énergie. Le temps de la mollesse est fini.
Dans les années 1983, 1984, le cinéma d’animation français était en mauvaise posture. Notre pays avait connu des heures glorieuses, avec des réalisateurs époustouflants, des films étonnants. Et puis, pour des raisons diverses, il y avait eu une sorte d’essoufflement non pas de l'inspiration mais liée au système. Le résultat c’est que des dessinateurs et des animateurs sont partis ailleurs, de même que des producteurs. Face à une telle situation, nous avons décidé de prendre le taureau par les cornes. Il fallait en effet affirmer une vraie volonté, en disant nous allons sauver le cinéma d'animation, comme nous avions d'ailleurs sauvé le cinéma en général. Quand je suis arrivé au ministère de la culture en 1981, le cinéma italien se mourait, le cinéma allemand déclinait et on prédisait le même destin au cinéma français. Nous avons répondu non, et nous lui avons redonné toute sa dynamique à travers toute une série de mesures. Et nous avons gagné ce pari, puisque le cinéma français demeure aujourd'hui le seul cinéma vraiment florissant en Europe. Il fallait donc faire preuve de la même détermination pour le cinéma d’animation qui était encore plus fragile. Cela s’est concrétisé par des mesures très simples puisque j'ai demandé au CNC d'augmenter la part de financement des films d'animation et j’ai introduit des quotas en leur faveur à la télévision. D’autres dispositions ont été prises, dont je n’ai plus les détails en tête, mais cela a donné une bouffée d'oxygène incroyable à cette industrie. Cela a créé une dynamique positive, les professionnels qui avaient quitté la France sont revenus et l’animation française a repris des couleurs. Et même si actuellement elle traverse une crise, le cinéma d’animation français est le premier d’Europe et le troisième dans le monde.
Pensez-vous que les pouvoirs publics devraient intervenir pour remédier à cette crise ?
Je n’ai pas de solution clé en main, mais je trouve les pouvoirs publics bien mollassons sur de tels sujets. Je suis par exemple totalement opposé à l’accord conclu avec Disney sur la chronologie des médias. Ce n’est pas correct vis-à-vis de Canal+. Certes on me dit que, en contrepartie, Disney participe à la production. Mais en l’occurrence ce n’est pas l’argent qui fait le plus défaut. Le plus important dans le domaine des industries culturelles, c’est la régulation. Et par ailleurs, vis-à-vis des GAFA et des plateformes, je pense que nous sommes trop dociles, trop tièdes en termes de quotas de diffusion, d’obligations de financement, de régulation en général. J’estime que l’on doit attendre des pouvoirs publics une détermination bien plus forte, y compris vis-à-vis des télévisions privées. Heureusement le service public se montre irréprochable, en continuant d’honorer les engagements pris dans les années 85. A à ce stade je pense que le soutien et la réflexion sont vitaux. Peut-être faudrait-il procéder à une véritable radiographie de toute cette filière. Le nouveau président du CNC est un homme de qualité qui a déjà réalisé de belles choses. Il va sans doute œuvrer en ce sens.
Quel regard portez-vous sur le festival d’Annecy et son marché du film d’animation ?
C’est l’exemple même d’un festival qui a démarré modestement pour devenir maintenant, en termes d'accréditations, aussi important que Cannes et Berlin. Mais pour autant ce n’est pas devenu un mastodonte, c’est resté un festival artisanal et à visage humain. Il y a un public fervent et enthousiaste, beaucoup d’étudiants, une ouverture à toutes les cinématographies du monde. Cela me réjouit. C’est un modèle à suivre.
L’intelligence artificielle générative représente pour beaucoup un sujet d’inquiétude. Une manifestation appelant à agir pour encadrer strictement son utilisation est organisée ce vendredi au festival. Quelle est votre position sur ce sujet ?
Je suis heureux de l’apprendre. Si j’avais pu rester à Annecy j’aurai participé à cette manifestation. Car le fait qu’il y ait une prise de conscience est formidable. Je suis favorable à l’usage de l’intelligence artificielle, sous contrôle, dans certains domaines industriels ou dans celui de la santé. Mais il faut être intraitable en ce qui concerne la fabrication des films, l’écriture des scénarios ou encore le travail des doubleurs. Il faut prendre des mesures radicales et fermes. Et si nous devons être les seuls à le faire et bien soyons les seuls. Mais vous savez quand la France prend des mesures dans le domaine culturel elle peut être suivie par d’autres pays. L’État doit être fort sur ce sujet car il en va de la tradition française. Les artistes et les créateurs doivent avoir le sentiment d'être soutenus, encouragés et préservés. En juillet cela fera 40 ans que nous avons fait adopter à l'unanimité une loi révolutionnaire sur les droits d'auteurs et les droits voisins. Avant cette loi, on pouvait diffuser à la télévision ou à la radio, des films ou des spectacles sans que les scénaristes ou les interprètes ne soient rémunérés. Cette loi a tout changé. Nous avons créé aussi la rémunération pour copie privée. Je pense qu’aujourd’hui il faudrait penser à une loi pour encadrer l’intelligence artificielle, comparable par son ambition à ce que nous avons réalisé voici 40 ans. Pourquoi ce qui était possible il y a 40 ans ne le serait pas aujourd'hui ? La patrie de Beaumarchais, la patrie des droits d'auteur se doit d’être à l’avant-garde et tant mieux si des professionnels se mobilisent.
Certains estiment tout de même que l’IA est un outil, sans doute pas comme les autres, mais un outil permettant des gains de temps appréciables...
Effectivement la machine peut servir l'art. La preuve, c'est qu'au moment même où j'ai édicté le plan image, nous avons également encouragé la réalisation de films d'animation par ordinateur. Ces nouvelles techniques ont donc contribué à l'essor du cinéma d'animation français. La technique n'est donc pas synonyme d'ennemi. Mais là il faut défendre les artistes et les créateurs et les pouvoirs publics doivent prendre des mesures radicales et énergiques. C'est capital. Autrement on va faire mourir le cinéma sous toutes ses formes. C’est la même chose pour la musique et la création au sens large. Il est temps d'agir. Vite et avec énergie. Le temps de la mollesse est fini.
Recueilli par Patrice Carré
© crédit photo : Emmanuel Nguyen Ngoc / Mifa
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