b8e66b6805c6a0dc2cb73d0e0e18dd78.jpg
Cinéma

Lumière MIFC 2025 - [Entretien] David Obadia : "Dès sa création, l’Afcae a fait du cinéma de répertoire une composante essentielle de son action"

Date de publication : 15/10/2025 - 08:07

A l’occasion des 70 ans de l’Afcae, qui formera le cœur de la table-ronde exploitation ce 15 octobre au MIFC, son délégué général revient sur la place du patrimoine dans l’histoire de l’association et dans le cadre des célébrations de son anniversaire, tout en livrant sa vision du marché du répertoire en salle aujourd’hui.

L'Afcae fête cette année ses 70 ans. Quelle place le cinéma de patrimoine occupe-t-il dans l'histoire de l'association ?
L’art et essai, c’est avant tout une histoire d’amour pour les films, leurs histoires, leurs origines, leurs héritages. Dès sa création, l’Afcae a fait du cinéma de répertoire une composante essentielle de son action, à la fois comme un socle culturel et comme un champ d’expérimentation pour les programmations et la rencontre avec les publics. Notre association n’a jamais perdu cette sensibilité. Les salles art et essai ont toujours su conjuguer la découverte et la mémoire, le regard tourné vers demain sans jamais négliger hier. Penser le cinéma d’aujourd’hui et de demain suppose de connaître les œuvres fondatrices, de comprendre comment elles résonnent encore et de transmettre cette richesse à de nouvelles générations de spectateurs.
 
De quelle manière le cinéma de répertoire a-t-il été et va-t-il être mis à l'honneur dans le cadre des célébrations de ce 70e anniversaire ?
Le groupe Répertoire de l’Afcae a beaucoup réfléchi et travaillé pour valoriser le cinéma de matrimoine et de patrimoine dans le cadre de cette année anniversaire. Certaines actions seront annoncées lors du MIFC. Mais, déjà, de nombreuses salles adhérentes organisent partout sur le territoire des séances "70 ans de l’art et essai" autour de films de répertoire. C’est un signe fort : ce cinéma continue de passionner les exploitants, qui souhaitent le partager de manière festive avec leurs spectateurs. Ces initiatives témoignent aussi d’une envie de renforcer le lien entre le public et ces œuvres fondatrices, souvent redécouvertes sous un nouveau regard, dans une période où le besoin de mémoire et de sens se fait de plus en plus sentir. Il aura également évidemment toute sa place lors de nos trois jours de colloque, début décembre, qui traitera de la cinéphilie d’hier à demain.
 
Quels seront justement les temps forts de ce colloque, qui se tiendra au Collège de France, à l'ENS et au CNC ? Qu'en attendez-vous ?
Il constitue sans doute l’un des moments les plus importants de notre année anniversaire. Trois jours de rencontres, de discussions, de projections et d’échanges entre universitaires, exploitants, critiques et cinéphiles de toutes générations. Nous voulons que ce colloque permette de définir, de questionner, mais aussi de dépasser la notion de cinéphilie. Qu’est-ce qu’être cinéphile aujourd’hui ? Comment ce rapport aux films, si ancré dans l’histoire culturelle française, évolue-t-il à l’heure du numérique et des nouveaux usages ? Et surtout, comment les salles, partout en France, peuvent-elles rester les lieux privilégiés de cette passion pour le cinéma ? Ces trois journées seront l’occasion d’un dialogue intergénérationnel et interprofessionnel, pour imaginer ensemble la cinéphilie de demain : ce qu’elle représentera dans trois, cinq ou dix ans, et comment elle pourra se transmettre, notamment à travers les actions des salles, l’éducation à l’image et le lien au public. De ces réflexions naîtront, nous l’espérons, des pistes concrètes pour développer en salle de nouvelles initiatives autour de la cinéphilie.
 
La table ronde organisée autour de vos 70 ans au MIFC est intégrée aux Rencontres professionnelles Afcae–ADRC. Quelle importance cette manifestation revêt-elle pour vous ?
C’est un moment à la fois symbolique et stratégique. Le MIFC est devenu, au fil des années, un espace essentiel de dialogue entre tous les acteurs du cinéma de répertoire : distributeurs, exploitants, ayants droit, institutions… Y célébrer les 70 ans de l’Afcae, c’est rappeler à quel point notre association est intimement liée à l’histoire et à la vitalité de ce cinéma. Mais au-delà de la célébration, il s’agit surtout d’un temps de réflexion collective. Nos trois journées professionnelles, coorganisées avec l’ADRC, seront l’occasion de questionner nos pratiques, d’échanger sur l’évolution des publics, les défis liés à la circulation des œuvres ou encore sur la question cruciale de la transmission. C’est aussi une manière de réaffirmer que les salles art et essai demeurent les lieux où ce cinéma trouve sa dimension la plus vivante : la rencontre, le débat, l’échange. Dans une période où les modèles économiques et culturels se transforment, le MIFC est un espace qui nous permet de penser l’avenir de manière concertée, collective et constructive, avec l’ensemble de la filière. Nous restons toutefois vigilants sur les difficultés à programmer les films de répertoire, qui trouvent de moins en moins de place sur les écrans et sont en danger face aux demandes de séances de plus en plus importantes sur les titres inédits.
 
Cette table ronde tentera de livrer "une vision de l’avenir pour le cinéma de patrimoine". Comment voyez-vous justement cet avenir ?
L’avenir du cinéma de répertoire passe, à mon sens, par la jeunesse. Par tout le travail d’éducation à l’image qui permet de faire découvrir ces œuvres aux nouvelles générations. C’est un enjeu majeur : comment parler aujourd’hui de films muets, en noir et blanc, à des jeunes baignés dans une culture de l’immédiateté et de la surabondance d’images ? Les dispositifs d’éducation artistique et culturelle, les séances accompagnées ou encore les interventions auprès des scolaires sont autant de portes d’entrée possibles. Le cinéma de répertoire a cette force : il parle de l’humain, du monde, de la mémoire, et offre aux jeunes spectateurs des repères pour mieux comprendre les images qu’ils consomment chaque jour. L’avenir du répertoire consiste donc à le faire vivre, non comme une archive, mais comme un geste artistique toujours actuel. Il doit être réinventé et redécouvert. Les salles art et essai jouent un rôle central dans cette transmission, en cultivant la curiosité et l’ouverture sur le monde.
 
De quelle manière l'Afcae travaille-t-elle aujourd'hui sur le cinéma classique ?
Nous travaillons sur ces questions de manière transversale, notamment à travers notre groupe Répertoire, notre groupe Jeune Public ou encore notre Comité 15-25. Ces espaces de réflexion se complètent et dialoguent entre eux. L’idée est d’éviter de cloisonner le cinéma de répertoire à un public déjà convaincu, mais au contraire de le relier à d’autres démarches, celles de la découverte, de la formation du regard, de la diversité culturelle. En croisant ces approches, nous essayons de faire de ce cinéma non pas une niche, mais une ressource vivante, qui continue à se vivre pleinement dans les salles et à toucher tous les publics. À titre d’exemple, pour attirer les jeunes vers des propositions art et essai, nous intégrons à la programmation de l’événement Halloween "Terreur Nocturne", organisé en partenariat avec le pass Culture, des œuvres de répertoire telles que Massacre à la tronçonneuse ou Evil Dead cette année. Nos adhérents débordent d’idées pour accompagner ces titres ! Nous nous interrogeons également sur les nouveaux regards que l’on porte aujourd’hui sur les films du passé. De les revisiter, de les replacer dans leur contexte et de comprendre comment ils résonnent avec notre époque. Cette réflexion, initiée lors de la table ronde "Comment regarder les films d’hier avec les yeux d’aujourd’hui ?" organisée pendant les dernières Rencontres nationales art et essai Répertoire, continue de nourrir nos échanges et nos réflexions.
 
Quel regard portez-vous, dans un marché global à la peine, sur les performances des œuvres de patrimoine cette année ?
Le marché du cinéma de répertoire ne suit pas toujours les mêmes logiques que celui du marché global. Le travail mené par les distributeurs spécialisés et les cinémas art et essai montre que ces films conservent une vraie attractivité dès lors qu’ils sont accompagnés, contextualisés, mis en avant. On observe d’ailleurs de très beaux succès : Yi Yi a réalisé plus de 28 000 entrées, Quatre nuits d’un rêveur, plus de 13 000, Chroniques des années de braise, plus de 11 000... Ce sont des chiffres significatifs dans le contexte actuel, et, surtout, des signes de vitalité. Bien sûr, le marché reste interdépendant : quand la fréquentation globale baisse, tout le monde est impacté. Mais ces réussites montrent qu’il existe un public fidèle et curieux, prêt à se déplacer pour (re)découvrir des œuvres rares ou restaurées. À l’Afcae, nous accompagnons de nombreux films de répertoire, et nous constatons une implication croissante des salles : animations, rencontres, débats, projections thématiques… Ces initiatives prolongent la vie des œuvres et rappellent que la salle reste un lieu unique, un espace de partage que rien ne remplace.

Propos recueillis par Kevin Bertrand
© crédit photo : Isabelle Nègre


L’accès à cet article est réservé aux abonnés.

Vous avez déjà un compte


Accès 24 heures

Pour lire cet article et accéder à tous les contenus du site durant 24 heures
cliquez ici


Recevez nos alertes email gratuites

s'inscrire