Cinéma

Lumière MFC 2016 – La promotion des films classiques en question

Date de publication : 14/10/2016 - 08:19

Organisée ce jeudi matin, la deuxième table ronde pratique du 4Marché du film classique se penchait sur les problématiques de marketing et de communication autour des sorties de catalogue, des pratiques une fois encore grandement bouleversées à l’ère du tout numérique.

Une fois de plus, ce fut à Anthony Bobeau, son modérateur, de lancer devant une salle comble le deuxième rendez-vous pratique du MFC. Issus d’horizons divers, les intervenants se réunissaient ce matin-là autour de la thématique “Films de patrimoine – Promotion, marketing, communication : quels moyens ? Quels enjeux ?”

Le point de vue de la distribution fut le premier abordé au travers des témoignages concrets de deux distributrices, Anne-Laure Brénéol, cofondatrice et dirigeante de Malavida, et Victoire Thévenin, responsable du patrimoine chez MK2 Films. Débutant comme éditeur vidéo voilà dix ans, Malavida s’est rapidement diversifié vers la distribution salle tout en restant fidèle à une ligne éditoriale basée sur “les films oubliés ou invisibles”, avec un penchant remarqué pour le cinéma est-européen et scandinave. “Il était indispensable, à nos yeux, de toucher la presse nationale pour accompagner nos films. Aussi, passer du DVD à la salle nous a offert le coup de projecteur nécessaire”, a témoigné Anne-Laure Brénéol.

S’appuyer sur la qualité du film

À la tête d’une “toute petite structure”, la distributrice doit souvent faire l’impasse, pour des raisons économiques, sur les grands médias et supports promotionnels privilégiés par le cinéma. Ainsi Malavida positionne toute sa promotion sur l’aspect qualitatif de chaque film, recentrant sa communication sur la presse. “Nous nous appuyons sur la qualité du film pour attirer l’intérêt de la presse, en embauchant une véritable attachée de presse. Les festivals permettent aussi d’accueillir et mobiliser journalistes et exploitants autour de la sortie. Enfin, à notre niveau, les relais et soutiens institutionnels, notamment du CNC, de l’ADRC et de l’Afcae, sont précieux.”

Malavida a connu deux importants succès cette année, à commencer par Joe Hill de Bo Widerberg (1971), qui pointe à plus de 15 000 entrées depuis le 18 novembre 2015. “Un film oublié et même perdu, inédit en France, pour lequel nous avons pu nous appuyer aussi sur le soutien de personnalités, telles Olivier Assayas, venu présenter une séance au Louxor.” De même, sorti le 26 février, le programme jeune public de courts tchèques, Ferda la fourmi, pointe à plus de 25 000 spectateurs, avec une promotion adaptée – dossier pédagogique, goodies… pour devenir le meilleur succès commercial de Malavida en salle.

Victoire Thévenin a tenu, pour sa part, à revenir sur la réédition récente du Décalogue de Krzysztof Kieslowski, que MK2 a lancé en cinq programmes de deux longs métrages le 29 juin dernier. Une sortie en collaboration avec Diaphana pour la programmation en province. Les dix longs, restaurés, étaient invisibles en France depuis douze ans, l’occasion pour le distributeur de viser, au-delà du public de fans du cinéaste polonais, une cible plus jeune dans une démarche de “transmission de ce patrimoine du cinéma”. Le digital fut ainsi fortement sollicité pour la promotion de la sortie, avec un gros travail sur les réseaux sociaux – et un total de 30 000 vues pour le lancement de la bande-annonce –, en évitant toutefois de s’éloigner de l’œuvre via une campagne virale peu adaptée. “Au regard du coût et de la simplicité de ce procédé, il fut très efficace sur la cible.” Le dispositif fut accompagné par l’agence Mercredi pour les opérations hors médias et les partenariats médias, dont un important avec Philosophie Magazine comprenant l’organisation de cinq conférences avec philosophes et sociologues autour des films. Les dix films cumulent plus de 18 000 entrées actuellement, pour un objectif situé autour de 20 000, qui sera probablement dépassé à terme.

“Communiquer sans interruption”

La deuxième partie de ce temps d’échange s'est penchée sur le cas de la communication et des relations médias. Ariane Toscan du Plantier, directrice de la communication et du patrimoine de Gaumont, et Thomas Baurez, journaliste pour Studio Ciné Live et France 24, étaient invités à s’exprimer sur le sujet. “L’idée, dans une communication autour des films de patrimoine, est de communiquer tout le temps, sans interruption, et d’événementialiser”, a expliqué d’entrée la communicante de la société à la Marguerite. Selon elle, Gaumont aurait vraiment mesuré toute l’importance de son histoire en organisant, l’an dernier, une exposition pour son 120anniversaire. “Nous nous sommes décidés pour une approche très populaire concernant notre catalogue”, qui se compose de 1 200 titres, aux profils très divers. “Pour l’exploitation des films de patrimoine, nous devons communiquer vers une niche. Il est important d’éditorialiser” afin de démarquer les films classiques des plus récents, aussi bien pour une sortie salle qu’en VàD. La dirigeante a cité en exemple la sortie opportuniste de la version restaurée de Coup de tête de Jean-Jacques Annaud lors du dernier Euro de football cet été. “Si la règle de l’air du temps est importante pour le succès des nouveautés, elle s’applique aussi aux films de catalogue, qui sont tout autant soumis à l’effet de mode. Il faut rester constamment à l’écoute du public.” Et Ariane Toscan du Plantier d’évoquer la popularité relancée des Tontons flingueurs depuis l’opération de crowdfunding via Celluloid Angels lancée cet été, avant d’annoncer sa sortie prochaine en salle.

Thomas Baurez juge “compliqué” de préserver un espace médiatique suffisant pour le cinéma classique. Sa revue, Studio Ciné Live, y consacre tout de même huit à neuf pages à chaque publication, dont cinq directement sous la responsabilité du journaliste. Et ce pour un lectorat pourtant populaire et mainstream en matière de cinéphilie. “L’actualité autour des sorties, en salle comme en vidéo, est de plus en plus importante. Parfois, nous découvrons une perle rare trop tard. Cela dit, il arrive que la mise en lumière d’un film par une personnalité, comme ce fut le cas avec La planète des vampires de Mario Bava (1965) par Nicolas Winding Refn à Cannes en mai, permet à l’œuvre de sortir des pages patrimoines et de gagner l’actualité. Je ne comprends pas le manque d’intérêt de mes confrères pour le cinéma classique.”

Les ressources de l’exploitation

Dans une troisième partie, le rendez-vous a tenu à étudier le cas particulier de l’exploitation de cinéma de patrimoine, au travers du témoignage de Jean-Fabrice Janaudy, programmateur du cinéma Le Vincennes, en banlieue parisienne, et du Max Linder Panorama, au cœur de Paris. “Deux cinémas qui sont l’antithèse l’un de l’autre.” Pour Le Vincennes, complexe généraliste de quatre écrans au public très bourgeois, familial ou senior, et CSP+, l’exploitant a réussi à instaurer au fil des années un rendez-vous patrimoine hebdomadaire, le lundi. “Des séances qui reposent sur une animation et attirent environ 3 000 spectateurs supplémentaires par an.” Pour communiquer, Jean-Fabrice Janaudy se base sur le matériel des distributeurs et les outils déployés par l’Afcae et l’ADRC, mais également en interne, via les réseaux sociaux bien sûr, ainsi qu’à travers l’instauration, récente, d’un panneau promotionnel fixe projeté en fin d’avant-séance. “Cela a apporté beaucoup de visibilité à ces séances. Nous participons aussi à des évènements nationaux, comme les festivals Play It Again et Toute la Mémoire du Monde.” Le cinéma a également initié son propre festival de patrimoine, Au-delà de l’écran, en janvier, avec un taux de remplissage de 93%. “Il faut créer et installer l’événement, mais aussi entretenir constamment la flamme pour ne pas s’embourber dans la routine.”

Se penchant sur le cas du Max Linder, salle parisienne historique aux qualités de projection vantées, sa programmation est resserrée sur des œuvres pointues et de genre, pour un public de “cinéphiles plutôt jeunes”. La communication passe par les réseaux sociaux, les blogs et par le travail de l’Agence tous Geeks et un partenariat avec MyTF1 VOD. Pour des séances nocturnes mensuelles, baptisées “Nuit au Max”, qui rapportent 300 à 550 entrées (en complet).

“Une orchestration entre les médias”

Le dernier volet du rendez-vous fut entièrement dédié à la vidéo, avec la participation de Kevin Lambert, directeur du catalogue pour l’éditeur britannique Arrow Films, et de Gilles Sebbah et Pierre Olivier, respectivement directeur d’exploitation et marketing catalogue et directeur vidéo et catalogue de TF1 Studio. Ces derniers éditent ainsi “une trentaine de films de patrimoine par an” en vidéo physique, dans un marché global pourtant en décroissance constante, mais qui n’atteint pas la niche. “Le marché vidéo français est encore très riche, même si le DVD a perdu sa fonction de maillon entre la sortie salle et la diffusion TV cette dernière décennie”, explique Gilles Sebbah. “Si l’on veut événementialiser et aller à la rencontre du public, le DVD ne peut plus le faire seul. Nous devons développer une orchestration entre les différents médias, créer des alliances pour faire des programmes efficaces.” TF1 Studio s’associera en 2017 à Gaumont, Studiocanal, Les Acacias et d’autres autour d’une intégrale d’Henri-George Clouzot, à paraître en vidéo et en salle en novembre 2017 à l’occasion des 110 ans de la naissance du cinéaste.

Au regard du manque de visibilité du cinéma classique en VàD, Gilles Sebbah est revenu sur un débat qui s’est tenu lors du colloque de la veille autour de la consommation de films sur smartphone. “Si le public, et notamment les plus jeunes, veut découvrir un film de patrimoine sur un smartphone, laissons-le faire. Ce ne peut être que positif.”

Kevin Lambert s’est pour sa part exprimé sur la nécessité de faire de “beaux objets” pour satisfaire un public de niche, souvent collectionneur. L’éditeur anglais a ainsi écoulé des lots limités à 1 000 ou 5 000 unités auprès de sa clientèle, fidélisée grâce à sa propre plateforme de vente en ligne. “Nous vendons également sur Amazon, qui règne en maître sur le marché depuis le déclin des boutiques en dur, mais la plupart de nos clients préfèrent payer 1 £ ou 2 £ de plus pour avoir une relation directe avec nous.” Arrow Films édite huit à neuf films par mois.

“Le cinéma de patrimoine se vend bien en vidéo physique, même si le marché est baissier”, conclut Gilles Sebbah, statistiques à l’appui. Ainsi, là où, en 2012, le marché comptait 1 000 “nouveautés classiques”, elles ne sont plus que 700 à 800 aujourd’hui, dont 66% en sorties DVD et 34% en Blu-Ray.

Sylvain Devarieux
© crédit photo : 'La scandaleuse de Berlin' de Billy Wilder - © Swashbuckler Films


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